Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/214

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— C’est aussi ce que j’ai cru, — répondit Vinicius. — Bien souvent il m’a semblé qu’on nous avait jeté un sort.

— Et si tu t’adressais aux prêtres de Sérapis ? — opina Pétrone. — Évidemment, parmi eux comme parmi tous les prêtres, il ne manque pas d’imposteurs, pourtant il en est qui ont approfondi d’étranges mystères.

Sa voix mal assurée trahissait son peu de conviction, car il sentait combien, dans sa bouche, ce conseil pouvait paraître vain, sinon ridicule.

Vinicius se frotta le front et dit :

— Des sortilèges !… J’ai vu des mages qui savaient utiliser les forces souterraines et en tirer profit. J’en ai vu d’autres qui s’en servaient pour nuire à leurs ennemis. Mais les chrétiens vivent dans la pauvreté ; ils pardonnent à leurs ennemis ; ils prêchent l’humilité, la vertu et la miséricorde. Quel bénéfice tireraient-ils des envoûtements et en quoi en profiteraient-ils ?

Pétrone commençait à s’irriter de ce que son intelligence ne trouvait rien. Ne voulant pas toutefois en convenir et tenant à répondre quand même, il dit :

— C’est une secte nouvelle…

Et bientôt il ajouta :

— Par la divine souveraine des bosquets de Paphos ! comme tout cela gâte la vie ! Tu admires la bonté et la vertu de ces gens, et moi je te dis qu’ils sont méchants, car ce sont les ennemis de la vie au même titre que les maladies, que la mort. Nous en avons pourtant assez sans cela ! Compte un peu : les maladies, César, Tigellin, les vers de César, les savetiers qui commandent aux descendants des quirites, les affranchis qui siègent au Sénat. Par Castor ! c’en est assez. C’est une secte pernicieuse et détestable. As-tu essayé de secouer toutes ces tristesses et d’user un peu de la vie ?

— J’ai essayé, — répondit Vinicius.

Pétrone riait.

— Ah ! traître ! Les nouvelles sont vite connues par les esclaves : tu m’as soufflé Chrysothémis !

Vinicius avoua, d’un geste dégoûté.

— N’empêche que je t’en remercie, — continua Pétrone. — Je lui enverrai une paire de souliers brodés de perles. En mon langage amoureux, cela veut dire : « Va-t’en » Je te suis reconnaissant à double titre : d’abord de n’avoir pas accepté Eunice, ensuite de m’avoir débarrassé de Chrysothémis. Écoute-moi bien : tu vois devant toi un homme qui se levait de bon matin, prenait son bain, festoyait, possédait Chrysothémis, écrivait des satires, parfois même rehaussait sa prose de quelques vers, mais qui s’ennuyait comme César et souvent n’arrivait pas à chasser ses