Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/218

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Es-tu allé à Rhodes où se dressait le colosse ? As-tu vu, à Panopie, en Phocide, l’argile dont se servit Prométhée pour pétrir les hommes ? As-tu vu, à Sparte, les œufs pondus par Léda, ou à Athènes la fameuse cuirasse sarmate faite de sabots de cheval, ou en Eubée le vaisseau d’Agamemnon, ou la coupe qui fut moulée sur le sein gauche d’Hélène ? As-tu vu Alexandre, Memphis, les Pyramides, le cheveu qu’Isis s’arracha en pleurant Osiris ? As-tu entendu les soupirs de Memnon ? Le monde est vaste et tout ne finit pas au Transtévère ! J’accompagnerai César, et, sur le chemin du retour, je le quitterai pour m’en aller à Cypre, car ma divine aux cheveux d’or désire que nous offrions ensemble, à Paphos, des colombes à Cypris, et je ne dois pas te laisser ignorer que tout ce qu’elle désire s’accomplit.

— Je suis ton esclave, — interrompit Eunice.

Mais lui, la tête posée sur son sein, dit en souriant :

— Je suis alors l’esclave d’une esclave. Je t’admire, ma divine, des pieds à la tête.

Puis, s’adressant à Vinicius :

— Viens avec nous à Cypre. Mais souviens-toi qu’auparavant il faut que tu voies César. C’est mal à toi de ne t’être pas encore rendu chez lui ; Tigellin serait capable d’exploiter la circonstance pour te nuire. Il n’a, il est vrai, aucune haine personnelle à ton égard, mais il ne saurait t’aimer, toi, mon neveu… Nous dirons que tu étais malade. Il nous faudra réfléchir à la réponse à faire au cas où César te parlerait de Lygie. Le mieux serait de dire, avec un geste de lassitude, que tu l’as gardée jusqu’à satiété. Il comprendra cela. Tu ajouteras que la maladie t’a confiné à la maison, que ta fièvre s’est augmentée de ton chagrin de n’avoir pu te rendre à Naples pour l’écouter chanter et que l’espoir de bientôt l’entendre a hâté ta guérison. N’aie pas peur d’exagérer. Tigellin annonce qu’il prépare pour César quelque chose, non seulement de grand, mais encore d’écrasant… Pourtant je flaire un piège. Je me méfie aussi de ta disposition d’esprit…

— Sais-tu, — interrompit Vinicius, — qu’il est des gens qui ne craignent pas César et vivent aussi tranquilles que s’il n’existait pas ?

— Je sais qui tu vas nommer : les chrétiens.

— Oui. Eux seuls… Et notre vie, qu’est-elle, sinon un continuel effroi ?

— Laisse-moi donc la paix avec tes chrétiens. Ils ne redoutent point César, parce que peut-être il n’a jamais entendu parler d’eux. En tout cas, il ne sait rien sur leur compte et ne s’intéresse pas plus à eux qu’à des feuilles mortes. Je te le répète, ce sont des infirmes, et tu le sens toi-même, car si ta nature répugne à suivre leur doctrine, c’est justement parce que tu vois leur nullité. Tu es