Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/219

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un homme pétri d’une autre argile : n’y pense plus et ne m’en parle plus. Nous saurons vivre et nous saurons mourir, et eux, que sauront-ils faire ? Le sait-on ?

Vinicius fut frappé de ces paroles. Rentré chez lui, il se demanda si réellement cette bonté et cette miséricorde n’étaient pas une preuve de la faiblesse de leurs âmes. Il lui sembla que des hommes forts et bien trempés ne pourraient pardonner ainsi. De là sans doute la répugnance de son âme de Romain pour leur doctrine. « Nous, nous saurons vivre et nous saurons mourir », avait dit Pétrone. Et eux ? Ils ne savent que pardonner, mais ils ne comprennent ni l’amour véritable, ni la véritable haine.


Chapitre XXX.

César, de retour à Rome, s’en voulait d’y être revenu, et, peu de jours après, il brûla de nouveau du désir de partir pour l’Achaïe. Il publia même un édit pour annoncer que son absence serait de courte durée et que les affaires publiques n’auraient pas à en souffrir. Puis, en compagnie des augustans, parmi lesquels se trouvait Vinicius, il se rendit au Capitole pour y sacrifier aux dieux et les remercier d’avoir favorisé son voyage. Mais le lendemain, le jour venu de visiter le sanctuaire de Vesta, un incident se produisit qui modifia tous les projets de César. Il ne croyait pas aux dieux, mais les craignait. La mystérieuse Vesta surtout le remplissait d’effroi. À la vue de cette divinité et du feu sacré, ses cheveux se dressèrent tout à coup, ses mâchoires se contractèrent, un frisson courut par tous ses membres, il chancela et tomba entre les bras de Vinicius qui, par hasard, se trouvait derrière lui. On le fit sortir du temple et on le transporta sur-le-champ au Palatin, où il revint bientôt à lui ; mais néanmoins, il dut garder le lit toute la journée. Au grand étonnement de tous les assistants, il déclara qu’il se décidait à remettre son voyage à plus tard, la divinité l’ayant secrètement mis en garde contre toute hâte. Une heure après, on proclamait publiquement partout dans Rome que César, voyant les visages attristés des citoyens et pénétré pour ceux-ci de ce même amour qu’un père a pour ses enfants, resterait parmi eux afin de partager leurs joies ou leurs peines. Le peuple, fort heureux de ce contrordre, qui lui assurait des jeux et des distributions de blé, s’assembla en foule devant la Porte Palatine, pour acclamer le divin César. Lui, qui jouait aux dés avec des augustans, s’arrêta :

— Oui, — dit-il, — il faut attendre. L’Égypte et la souveraineté