Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/227

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glissaient, costumées en nymphes, en dryades et en hamadryades. Enfin, de la tente principale, le crépuscule fut salué de cris en l’honneur de la Lune, et soudain des milliers de lampes illuminèrent les bosquets.

Des lupanars, établis le long du rivage, jaillirent des torrents de lumière ; sur les terrasses apparurent de nouveaux groupes : c’étaient, toutes nues, les épouses et les filles des premières familles de Rome. De la voix et du geste elles appelaient les convives. Enfin le radeau aborda ; César et les augustans se ruèrent à travers les bosquets, envahirent les lupanars, les tentes, les grottes artificielles d’où jaillissaient des sources et des fontaines. Le délire était universel ; on ne savait ce qu’était devenu César, on ne savait qui était sénateur, guerrier, danseur ou musicien. Les satyres et les faunes criaient en poursuivant les nymphes. Les lampes étaient éteintes à coups de thyrse, certaines parties des bosquets plongeant dans l’obscurité. Mais partout on entendait des cris stridents, des rires ; ici des murmures, là des souffles haletants. Assurément, Rome n’avait jamais rien vu de semblable.

Vinicius n’était pas ivre comme au festin donné dans le palais de César et auquel avait assisté Lygie, mais tout ce qui se passait l’avait ébloui et enivré ; lui aussi ressentait enfin la fièvre du plaisir. Il s’élança dans le bois, se rua avec les autres pour faire son choix parmi les dryades. À chaque instant, de nouvelles bandes passaient devant lui serrées de près par des faunes, des sénateurs, des guerriers. Enfin, il aperçut un groupe de jeunes femmes conduites par une Diane ; il bondit de leur côté pour voir de plus près la déesse, et soudain son cœur cessa de battre. Dans cette déesse au croissant, il lui avait semblé reconnaître Lygie.

Elles l’entourèrent d’une sarabande, puis, pour l’exciter à les poursuivre, elles s’enfuirent comme un troupeau de biches. Et bien que cette Diane ne fût pas Lygie et n’eût avec elle aucune ressemblance, il restait là, le cœur palpitant, tout ému.

Il ressentit subitement, d’être loin de Lygie, une tristesse immense, et jusqu’alors inéprouvée, et son amour, tel une puissante vague, inonda de nouveau son cœur. Jamais elle ne lui avait paru plus pure, ne lui avait été plus chère, que dans ce bois de démence et de sauvage débauche. L’instant d’avant, lui-même avait eu la tentation de boire à ce calice, de prendre sa part de l’orgie. Maintenant, il n’éprouvait plus que de la répulsion. Le dégoût l’étouffait ; il fallait à sa poitrine de l’air pur, à ses yeux des étoiles qui ne fussent point cachées par les rameaux de ces bosquets étranges, et il résolut de fuir. Mais il avait fait à peine quelques pas que surgit devant lui la silhouette d’une femme voilée ;