Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les femmes que, tout corrompu qu’il fût jusqu’à la moelle des os et plus sûr de lui-même que quiconque à Rome, il n’en éprouvait pas moins pour elle une sorte de respect et, bien mieux, perdait devant elle quelque peu de son aplomb. Aussi, en la remerciant des soins donnés à Vinicius, employait-il involontairement le mot domina, qui jamais ne lui venait à l’esprit quand, par exemple, il s’entretenait avec Calvia Crispinilla, Scribonia, Valeria, Solina, ou quelque autre femme du monde.

Après des saluts et des remerciements, il se mit à déplorer que Pomponia se montrât si peu et qu’on ne pût la rencontrer ni au cirque, ni à l’amphithéâtre, à quoi elle répondit doucement et la main posée sur celle de son mari :

— Nous devenons vieux, et tous deux, de plus en plus, nous aimons la paix du foyer domestique.

Pétrone essaya de protester, mais Aulus Plautius ajouta de sa voix qui sifflait :

— Et, de plus en plus, nous nous sentons étrangers parmi des gens qui gratifient de noms grecs jusqu’à nos dieux romains.

— Depuis quelque temps déjà, — repartit négligemment Pétrone, — les dieux ne sont plus que des figures de rhétorique, et comme la rhétorique nous la tenons des Grecs, il m’est plus facile, pour ma part, de dire « Héra » que « Junon ».

Ce disant, il dirigeait son regard vers Pomponia, dans l’évidente intention de marquer qu’en sa présence aucune autre divinité ne pouvait venir à l’esprit ; il se reprit ensuite à protester contre ce qu’elle avait dit de la vieillesse :

« Il est vrai que les hommes vieillissent vite, ceux-là surtout qui s’astreignent à un certain genre de vie ; mais il est aussi des visages que Saturne paraît oublier. »

Pétrone parlait ainsi assez sincèrement, car, bien qu’étant déjà sur le retour de l’âge, Pomponia Græcina n’en conservait pas moins une rare fraîcheur de teint ; ayant la tête petite et les traits délicats, et en dépit de sa robe sombre, de sa gravité et de son air songeur, elle n’en donnait pas moins, par moments, l’impression d’être une toute jeune femme.

Pendant son séjour à la maison, Vinicius avait conquis l’amitié du petit Aulus, qui s’approcha de lui pour l’inviter à jouer à la balle. Lygie avait suivi l’enfant dans le triclinium. Sous le rideau de lierre, et tandis que de petites lueurs miroitaient sur son visage, elle apparut à Pétrone plus jolie qu’à première vue et ressemblant vraiment à une nymphe. Aussi, comme il ne lui avait pas parlé encore, il se leva, s’inclina, et, dédaignant les banales formules de salutation, il cita pour elle les paroles dont Ulysse salue Nausicaa :