Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/230

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parenté, et aussi parce que Augusta, irritée contre toute la famille, mettra son influence au service de Tigellin… »

D’une façon comme de l’autre, tout allait mal. Pétrone était courageux et ne redoutait pas la mort ; mais, n’en attendant rien, il ne croyait pas utile de la provoquer. Réflexion faite, il décida qu’il était beaucoup plus sûr de faire voyager Vinicius. « Ah ! si au surplus il pouvait lui donner Lygie, avec quelle joie il le ferait ! » Cependant, même sans cela, il espérait persuader Vinicius. Il ferait courir au Palatin le bruit que le jeune tribun était malade et il écarterait ainsi le danger qui les menaçait l’un et l’autre. En somme, l’Augusta ne savait pas si Vinicius l’avait reconnue, et jusqu’à présent, rien n’avait trop blessé son amour-propre. Mais il fallait prendre des précautions pour l’avenir. Pétrone voulait avant tout gagner du temps : il sentait bien que, César allant en Achaïe, Tigellin, complètement ignorant des choses de l’art, serait relégué au second plan et perdrait son prestige. En Grèce, Pétrone était assuré de la victoire sur tous ses rivaux.

En attendant, il décida de surveiller Vinicius et de l’amener à partir. Même, durant un certain temps, il pensa que s’il obtenait de César un édit chassant les chrétiens de Rome, Lygie quitterait la ville avec ses coreligionnaires, et Vinicius la suivrait, sans qu’on eût besoin de l’y pousser.

C’était chose possible. Il n’y avait pas si longtemps qu’après des troubles provoqués par la haine des Juifs contre les chrétiens, Claude, ne sachant distinguer les uns des autres, avait expulsé les Juifs. Pourquoi Néron n’expulserait-il pas aujourd’hui les chrétiens ? Cela ferait de la place dans Rome.

Depuis le fameux « festin flottant », Pétrone voyait tous les jours Néron, soit au Palatin, soit dans d’autres maisons. Il était facile de lui insinuer cette idée, car César ne repoussait jamais les conseils de mort et de destruction. Pétrone arrêta donc tout un plan d’action : il donnerait un banquet chez lui et déciderait César à publier l’édit. Il avait même l’espoir justifié que César lui en confierait l’exécution. Alors, il expédierait Lygie, avec tous les égards dus à l’élue de Vinicius, à Baïes par exemple, où ils n’auraient qu’à s’aimer et à jouer aux chrétiens tout à leur aise.

Il voyait assez souvent Vinicius, autant parce que, malgré tout son égoïsme de Romain, il ne pouvait se détacher de lui, que pour le décider à voyager. Vinicius se faisait passer pour malade et ne se montrait pas au Palatin, où chaque jour un projet en remplaçait un autre.

Enfin, Pétrone entendit César lui-même annoncer que dans trois jours on partirait pour Antium. Dès le lendemain, il alla en aviser Vinicius.