Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/229

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— César — reprit Pétrone — n’a pas su dissimuler devant elle son violent désir de posséder Rubria, et peut-être qu’elle a voulu se venger. J’ai donné l’alarme, parce que si, ayant reconnu l’Augusta, tu l’avais repoussée, c’était te perdre sans rémission, toi, Lygie, et moi aussi peut-être.

Vinicius éclata :

— J’en ai assez de Rome, de César, des fêtes, d’Augusta, de Tigellin et de vous tous ! J’étouffe ! Je ne puis vivre ainsi ! Je ne le puis ! Comprends-tu ?

— Tu perds la tête, tu perds tout bon sens et toute mesure, Vinicius !

— Je n’aime qu’elle au monde.

— Et alors ?

— Alors je ne veux pas d’autre amour, je ne veux pas de votre façon de vivre, de vos festins, de vos débauches et de vos crimes !

— Qu’as-tu enfin ? Es-tu donc chrétien ?

Le jeune homme pressa sa tête entre ses mains avec désespoir, en répétant :

— Pas encore ! Pas encore !


Chapitre XXXII.

Pétrone regagna sa demeure en haussant les épaules, et fort mécontent. Il s’apercevait que Vinicius et lui avaient cessé de parler le même langage. Jadis, il avait sur le jeune guerrier une grande influence. Il lui servait de modèle en tout. Souvent il lui avait suffi de quelques mots ironiques pour retenir Vinicius ou pour le pousser à l’action. Aujourd’hui, cette influence avait totalement disparu et Pétrone n’essayait même plus des anciens moyens, certain que son esprit et son ironie glisseraient sans rien laisser sur la cuirasse dont l’amour et le contact avec ce monde chrétien si incompréhensible avaient enveloppé l’âme de Vinicius. Le sceptique expérimenté qu’il était comprenait qu’il avait perdu la clef de cette âme. Cela lui était désagréable et lui inspirait en même temps des craintes encore augmentées par les événements de cette dernière nuit.

« Si ce n’est de la part d’Augusta un caprice passager, mais une passion plus forte, — songeait Pétrone, — alors, ou bien Vinicius ne pourra s’y dérober, et dans ce cas le moindre incident peut le perdre ; ou bien il résistera, — ce à quoi on peut s’attendre à présent de sa part, — et alors il est perdu sans retour, et avec lui moi aussi peut-être, ne fût-ce qu’en raison de notre