Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/242

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Vinicius voulut courir à sa rencontre, mais la vue de cet être si cher paralysa ses forces et il resta immobile, le cœur battant à se rompre, les jambes flageolantes, infiniment plus ému que la première fois où il avait entendu siffler les flèches des Parthes.

Elle entra sans rien soupçonner et, à la vue de Vinicius, elle s’arrêta comme pétrifiée. Son visage se couvrit de rougeur, puis pâlit aussitôt après, et, de ses yeux étonnés et remplis d’effroi, elle se mit à regarder les assistants.

Elle ne vit que des regards lumineux et pleins de bonté. L’apôtre Pierre s’approcha d’elle et lui dit :

— Lygie, l’aimes-tu toujours ?

Il y eut un moment de silence. Ses lèvres tremblèrent comme celles d’un enfant prêt à pleurer et qui, coupable, est obligé de confesser sa faute.

— Réponds, — dit l’Apôtre.

Alors, d’une voix humble et craintive, elle balbutia en tombant aux pieds de Pierre :

— Oui…

Au même instant, Vinicius s’agenouilla auprès d’elle. Pierre posa ses mains sur leurs têtes en disant :

— Aimez-vous en Notre-Seigneur et pour Sa gloire, car il n’y a point de péché dans votre amour.


Chapitre XXXIV.

En se promenant dans le jardin, Vinicius racontait à Lygie, rapidement, en des mots venant du fond du cœur, ce que l’instant d’avant il avait avoué aux Apôtres : le trouble de son âme, les transformations qui s’étaient opérées en lui, et enfin cette profonde tristesse qui avait assombri sa vie depuis qu’elle avait quitté la demeure de Myriam. Il lui avoua qu’il avait essayé, mais en vain, de l’oublier. Il lui rappela la petite croix, faite de minces branches de buis, qu’elle lui avait laissée, qu’il avait placée dans son lararium et qu’involontairement il vénérait comme quelque chose de divin. Il s’attristait chaque jour d’autant plus que son amour devenait plus profond, cet amour qui déjà, dans la maison d’Aulus, s’était complètement emparé de lui. Aux autres, les Parques tissent le fil de la vie ; le fil de la sienne était tissé par l’amour, le chagrin et la tristesse. Ses actes étaient mauvais, mais c’était son amour qui les dictait. Il l’avait aimée chez les Aulus et au Palatin ; il l’avait aimée quand il l’avait vue à l’Ostrianum, écoutant les paroles de Pierre ; de même lorsqu’il était venu avec