Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/243

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Croton pour l’enlever, et quand elle veillait auprès de sa couche, et lorsqu’elle l’avait quitté. Et voici que Chilon, ayant découvert sa retraite, était venu lui conseiller de s’emparer d’elle ; mais il avait châtié le Grec, préférant demander aux Apôtres la parole de vérité, et elle comme fiancée… Béni l’instant où cette inspiration lui était venue, puisque maintenant il était près d’elle et qu’elle ne le fuirait plus, comme elle avait fui de la demeure de Myriam.

— Ce n’est pas toi que je fuyais, — déclara Lygie.

— Et qui donc ?

Elle leva sur lui ses yeux de pâle iris, puis, inclinant son visage troublé, elle murmura :

— Tu le sais…

Suffoqué par l’excès de son bonheur, Vinicius garda un instant le silence. Puis il se remit à lui raconter comment peu à peu ses yeux s’étaient ouverts, comment il l’avait reconnue différente de toutes les femmes de Rome et ne ressemblant peut-être qu’à la seule Pomponia. D’ailleurs, il ne parvenait pas à lui expliquer clairement ses sentiments, dont lui-même ne se rendait pas très bien compte. Il avait découvert en elle une beauté toute particulière et jusqu’alors inconnue, non pas seulement une statue, mais aussi une âme. Il la combla de joie en lui disant qu’il l’avait aimée davantage encore quand elle l’avait fui, et qu’au foyer domestique elle serait pour lui une sainte.

Puis il lui prit les mains, sans plus rien pouvoir lui dire, la regardant avec ravissement, comme rentré en possession de son bonheur, et répétant son nom pour se convaincre qu’il l’avait retrouvée, qu’il était vraiment près d’elle.

— Ô Lygie ! Lygie !…

Il lui demanda enfin ce qui se passait dans son âme, et elle lui avoua qu’elle l’aimait déjà dans la maison des Aulus et que si, du Palatin, il l’avait reconduite chez eux, elle leur aurait fait part de son amour et aurait essayé d’apaiser leur courroux contre lui.

— Je te jure, — dit Vinicius, — que je n’ai pas même eu la pensée de t’enlever aux Aulus. Pétrone te le racontera quelque jour : je lui avais déclaré déjà que je t’aimais et désirais t’épouser. Je lui avais dit : « Qu’elle enduise ma porte de graisse de loup et qu’elle prenne place à mon foyer », mais il s’était moqué de moi et avait suggéré à César l’idée de te réclamer comme otage pour te remettre entre mes mains. Que de fois je l’ai maudit, dans mes accès de chagrin ! Mais c’est peut-être un heureux sort qui l’a voulu ainsi : je n’aurais pas connu les chrétiens et ne t’aurais point comprise…

— Crois-moi, Marcus, — répondit Lygie, — c’est le Christ qui a voulu t’amener à Lui.