Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/247

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— Penses-tu donc que notre César ne possède que cet unique talent ? — repartit en riant Pétrone. — Il s’exhibera aux jeux olympiques, comme poète, avec son incendie de Troie, comme conducteur de chars, comme musicien, comme athlète, et quoi encore ?… même comme danseur, et à chaque fois, il escamotera les couronnes destinées aux vainqueurs méritants. Sais-tu pourquoi ce singe est enroué ? N’a-t-il pas voulu, hier, égaler notre Pâris ? Il nous a dansé l’aventure de Léda, ce qui l’a mis en sueur ; et il a pris froid. Il était trempé et visqueux comme une anguille au sortir de l’eau. Il changeait de masque à tout moment, tournait comme une toupie, agitait les bras comme un matelot ivre, et le dégoût vous prenait de voir cet énorme ventre et ces jambes grêles. Pâris lui donnait des leçons depuis quinze jours : te figures-tu Ahénobarbe en Léda ou en cygne-dieu ? Quel cygne ! Parlons-en ! Mais il veut se montrer au public dans cette pantomime, à Antium d’abord, à Rome ensuite.

— On trouvait déjà scandaleux qu’il chantât en public ; mais songer que le César romain paraîtra comme mime sur la scène, non ! cela, Rome même ne le tolérera pas !

— Mon cher, Rome tolérera tout, et le Sénat votera des actions de grâces au « père de la patrie ».

Et un instant après, Pétrone ajouta :

— La foule est fière même que César lui serve de bouffon.

— Juges-en toi-même, peut-on s’avilir davantage ?

Pétrone haussa les épaules.

— Tu vis chez toi, plongé dans tes méditations, tantôt au sujet de Lygie, tantôt au sujet des chrétiens. Aussi, tu ne sais rien de ce qui s’est passé il y a quelques jours. Néron a publiquement épousé Pythagore. Il jouait le rôle de la jeune mariée. Cela semble le comble de la folie, n’est-il pas vrai ? Eh bien ! les flamines sont venus et ont béni solennellement cette union. J’étais présent à la cérémonie. Je suis capable de tolérer bien des choses ; pourtant je me suis dit que les dieux, s’il y en a, devraient se manifester par quelque signe. Mais César ne croit pas aux dieux, ce en quoi il a raison.

— Puisqu’il est à lui seul grand prêtre, dieu et athée, — dit Vinicius.

Pétrone rit :

— C’est vrai. Cela ne m’était pas encore venu à l’esprit. Le monde n’a pas encore vu semblable cumul.

Puis il ajouta :

— Il faut dire aussi que ce grand prêtre qui ne croit pas aux dieux, et ce dieu qui raille ses confrères, les redoute comme athée.

— À preuve ce qui s’est passé dans le temple de Vesta.