— Quel monde !
— Tel monde, tel César ! Mais cela ne durera pas.
Tout en causant, ils arrivèrent chez Vinicius, qui demanda gaiement le repas du soir ; puis, s’adressant à Pétrone :
— Oui, mon cher, le monde doit se réformer, renaître.
— Ce n’est pas nous qui le réformerons, — riposta Pétrone, — ne fût-ce que parce que, sous le règne de Néron, l’homme ressemble trop à un papillon : il vit au soleil de la faveur et meurt au premier souffle de froideur impériale… Par le fils de Maïa ! je me demande parfois comment, même malgré lui, ce Lucius Saturninus a pu gagner ses quatre-vingt-treize ans et survivre à Tibère, à Caligula et à Claude ?… Mais assez causé de cela. Me permettras-tu d’envoyer ta litière chercher Eunice ? Je n’ai plus envie de dormir et voudrais me distraire. Fais venir pour le repas le joueur de cithare, ensuite nous parlerons d’Antiar. Il y faut songer, toi surtout.
Vinicius donna l’ordre d’aller chercher Eunice, tout en protestant qu’il ne songeait guère à se casser la tête à propos d’Antiar. Ceux-là pouvaient s’en tourmenter qui étaient incapables de vivre autrement que dans le rayonnement de la faveur de César.
— Le monde ne se borne pas au Palatin, surtout pour ceux qui ont autre chose dans l’esprit et dans l’âme.
Il disait cela avec tant de laisser-aller et de gaieté que Pétrone en fut frappé. Il le regarda et dit :
— Qu’as-tu donc ? Te voilà aujourd’hui tel que tu étais quand tu portais encore au cou la bulle d’or.
— Je suis heureux, — répondit Vinicius, — et c’est pour te le dire que je t’ai invité à venir chez moi.
— Mais que t’arrive-t-il ?
— Ce que je ne céderais pas pour tout l’empire romain.
Il appuya un coude sur un bras du fauteuil, posa sa tête sur sa main et se mit à parler, le visage souriant et le regard illuminé.
— Te souviens-tu du jour où nous sommes allés ensemble chez Aulus Plautius ? Là tu vis pour la première fois une divine jeune fille que tu qualifias toi-même des noms d’Aurore et de Printemps. Te rappelles-tu cette Psyché, cette incomparable, la plus belle des vierges et de toutes vos divinités ?
Pétrone le regardait, surpris, comme pour se convaincre qu’il avait tout son bon sens.
— Quelle langue parles-tu ? Évidemment, je me souviens de Lygie.
Et Vinicius de dire :
— Je suis son fiancé.
— Quoi ?…