Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/249

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Mais le jeune homme bondit de son siège et appela l’intendant.

— Fais entrer ici tous les esclaves, sans aucune exception. Vite.

— Tu es son fiancé ? — répéta Pétrone.

Il n’était pas revenu de son étonnement que les esclaves remplissaient le vaste atrium. Tout essoufflés, arrivaient des vieillards, des hommes mûrs, des femmes, des enfants des deux sexes. Ils envahissaient de plus en plus l’atrium. Dans le corridor, ou fauces, on entendait des interpellations dans toutes les langues. Enfin, tous les esclaves s’étant rangés entre les colonnes et le mur, Vinicius, debout près de l’impluvium, se tourna vers l’affranchi Demas et lui dit :

— Ceux qui servent dans ma maison depuis vingt ans auront à se présenter demain chez le préteur, qui leur accordera la liberté. Les autres recevront chacun trois pièces d’or et double ration pendant une semaine. Qu’on expédie aux ergastules de province l’ordre de lever toutes les punitions, de désenchaîner les prisonniers et de les nourrir convenablement. Ce jour est jour de bonheur pour moi, et je veux que la joie règne dans ma maison.

Ils restèrent muets un instant, n’en pouvant croire leurs oreilles ; puis toutes les mains se levèrent ensemble et toutes les bouches s’écrièrent :

— Aa ! seigneur ! Aaa !…

Vinicius les congédia d’un geste et, malgré leur envie de le remercier et de tomber à ses pieds, ils se répandirent en hâte dans la maison qu’ils remplirent de leurs cris d’allégresse depuis les sous-sols jusqu’au faîte.

— Demain, — dit Vinicius, — je les rassemblerai dans le jardin et leur ordonnerai de tracer devant eux les signes qu’ils voudront. Ceux qui dessineront un poisson seront affranchis par Lygie.

Mais Pétrone, habitué à ne s’étonner longtemps de rien, avait déjà repris son flegme :

— Un poisson ?… Ah ! je me souviens de ce que disait Chilon : c’est l’emblème des chrétiens.

Puis, tendant la main à Vinicius, il ajouta :

— Le bonheur est toujours là où chacun le voit. Que, durant de longues années, Flore sème des fleurs sous vos pas. Je te souhaite tout ce que tu peux te souhaiter.

— Merci ; je croyais que tu allais me dissuader, et, vois-tu, c’eût été peine perdue.

— Moi, te dissuader ? Pas le moins du monde. Je te dis au contraire que tu fais bien.

— Ah ! traître, — riposta gaiement Vinicius, — ne te souviens-