Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/251

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qu’il paraît, et qu’Acté l’est à coup sûr ? Oui, cette religion envahit le monde, et seule elle est capable de le rénover. Ne hausse pas les épaules, car qui sait si, dans un mois ou dans un an, tu ne l’adopteras pas toi-même ?

— Moi ? — fit Pétrone, — non, parle Léthé, je ne l’adopterai pas, renfermât-elle la vérité et la sagesse humaine aussi bien que divine… Cela exigerait des efforts et il me déplait de me fatiguer ; des renoncements, et je n’aime renoncer à rien dans la vie. Avec ta nature enflammée et bouillante, on pouvait toujours s’attendre à cet avatar : mais moi ? j’ai mes gemmes, mes camées, mes vases et mon Eunice. Je ne crois pas à l’Olympe, mais je me l’arrange sur cette terre, et je m’efforcerai de fleurir jusqu’à ce que les flèches du divin archer me transpercent, ou que César m’intime l’ordre de m’ouvrir les veines. J’aime trop le parfum des violettes et mes aises dans mon triclinium. J’aime jusqu’à nos dieux… en tant que figures de rhétorique. J’aime aussi l’Achaïe, où je me prépare à suivre notre obèse César Auguste aux jambes grêles, l’incomparable, le divin Périodonicès… Hercule, Néron !…

Puis, il éclata de rire à la seule pensée qu’il pût adopter la doctrine des pêcheurs galiléens et il se mit à fredonner à mi-voix :

De myrtes verdoyants j’enguirlanderai mon glaive. À l’exemple d’Armodios et d’Aristogiton.

Il s’arrêta, car le nomenclator annonçait Eunice.

On servit aussitôt le souper. Quand le joueur de cithare eut chanté plusieurs morceaux, Vinicius raconta à Pétrone la visite de Chilon, et comment cette visite lui avait inspiré l’idée d’aller trouver directement les Apôtres, idée qui lui était venue tandis qu’on châtiait Chilon.

Pétrone, repris de l’envie de dormir, passa la main sur son front et dit :

— L’idée était bonne, puisqu’elle a produit un bon résultat. Quant à Chilon je lui aurais remis cinq pièces d’or ; mais, du moment où tu avais donné l’ordre de le fustiger, mieux eût valu le faire mourir sous les coups ; sait-on, en effet, si un jour les sénateurs ne s’inclineront pas devant lui comme ils s’inclinent aujourd’hui devant notre chevalier de l’alène, Vatinius ? Bonne nuit.

Pétrone et Eunice déposèrent leurs couronnes et se retirèrent. Vinicius se rendit dans sa bibliothèque et écrivit à Lygie :

« Je veux qu’en ouvrant tes beaux yeux, ma divine, tu trouves un bonjour dans cette lettre. C’est pourquoi je t’écris ce soir, bien que je doive te voir demain. César part dans deux jours pour Antium et moi, hélas ! je suis forcé de l’y suivre. Je te l’ai dit déjà, désobéir serait exposer ma vie, et je n’aurais plus aujourd’