Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/252

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hui le courage de mourir. Pourtant, si tu ne veux pas que je parte, réponds un seul mot et je reste : ce sera affaire à Pétrone d’écarter de moi le danger. En ce jour de joie, j’ai récompensé tous mes esclaves, et ceux qui servent chez moi depuis vingt ans iront demain chez le préteur pour être affranchis. Toi, ma très chère, tu dois m’en complimenter, car, à ce qu’il me semble, ceci est conforme à la douce doctrine que tu professes ; je l’ai fait à cause de toi. Je leur dirai que c’est à toi qu’ils doivent la liberté, afin qu’ils célèbrent ton nom.

« Par contre, je veux moi-même devenir l’esclave du bonheur, et ton esclave, et je souhaite ne jamais être affranchi. Maudits soient Antium et les voyages d’Ahénobarbe ! Trois et quatre fois heureux suis-je encore de ne point posséder l’érudition de Pétrone, car il me faudrait sans doute aller aussi en Achaïe. Mais ton souvenir me rendra moins pénibles les heures de la séparation. Chaque fois que je serai libre, je sauterai à cheval et galoperai jusqu’à Rome, afin de délecter mes yeux de ta vue et mes oreilles de ta voix si chère. Quand il me sera impossible de venir, je te dépêcherai un esclave pour te porter une lettre et s’informer de toi.

« Je te salue, ma divine, et me jette à tes genoux. Ne te mets pas en colère si je t’appelle divine : si tu me le défends, je t’obéirai ; mais aujourd’hui, je ne sais pas encore dire autrement. Je te salue du seuil de ta future demeure, je te salue de toute mon âme. »


Chapitre XXXVI.

On savait à Rome que César, en passant, visiterait Ostie, ou plutôt y visiterait le plus grand navire du monde, arrivé d’Alexandrie avec une cargaison de blé et que, de là, par la Voie Littorale, il gagnerait Antium. Des ordres avaient été donnés quelques jours à l’avance : aussi, de grand matin, près de la porte d’Ostie, se pressait une foule où la populace romaine, mêlée à toutes les nations de l’univers, venait se remplir les yeux du spectacle de la procession impériale, dont la plèbe ne pouvait jamais se rassasier.

Le trajet jusqu’à Antium n’était ni long, ni pénible ; dans cette cité, où se voyaient des palais et des villas magnifiques, on pouvait trouver tout ce qu’exigeaient non seulement le confort, mais le luxe le plus raffiné de cette époque. Néanmoins, César avait coutume d’emporter en voyage toutes les choses parmi