Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/254

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d’oreilles jetaient un reflet doré sur leurs faces noires et les pointes de leurs lances de bambous scintillaient au soleil comme des flammes. La foule se tassait, pour voir de plus près ; mais des prétoriens à pied vinrent former la haie de chaque côté de la porte, afin de maintenir la voie libre. Et le défilé commença.

D’abord des chariots où s’empilaient des tentes rouges, violettes, blanches, celles-ci en neigeux tissus brodés de fils d’or, des tapis d’Orient, des tables de cyprès, des dalles de mosaïque, des ustensiles de cuisine, des cages renfermant des oiseaux rapportés de l’Orient, du Midi et du Couchant et dont les cervelles et les langues devaient être servies sur la table impériale, des amphores de vin, des paniers de fruits. Mais les objets qui risquaient de se détériorer sur les chariots étaient transportés à pied : il y avait une troupe de porteurs pour les ustensiles et les statuettes en bronze corinthien, une autre pour les vases étrusques, une autre pour les vases grecs et une autre encore pour les vases d’or, d’argent, ou de verre d’Alexandrie. De petits détachements de prétoriens, à pied ou à cheval, séparaient les groupes de porteurs et chaque groupe était surveillé par des gardiens armés de fouets dont les lanières se terminaient par des balles de plomb ou de fer. Ce cortège d’esclaves, portant avec attention et respect les précieux objets, semblait quelque solennelle procession religieuse, dont le caractère se dessina davantage lorsque vinrent les instruments de musique de César et de ses courtisans : harpes, luths grecs, luths hébraïques ou égyptiens, lyres, phormynx, cithares, flûtes, buccins, cymbales. À voir cette multitude d’instruments éclatants d’or, de bronze, de pierreries et de nacre, on eût pu croire que c’était Apollon ou Bacchus qui s’en allaient parcourir le monde. Puis apparurent, sur de splendides carruques, les acrobates, les danseurs, les danseuses, pittoresquement groupés, le thyrse à la main. Venaient ensuite les esclaves destinés aux jeux voluptueux : de jeunes garçons et des fillettes, cueillis en Grèce et en Asie Mineure, aux longs cheveux bouclés ramassés dans des résilles d’or, au visage merveilleux, mais enduit d’une épaisse couche de fard, de peur que leur teint délicat fût brûlé par le vent de la Campanie.

Puis c’était un nouveau bataillon de prétoriens, Sicambres géants, barbus, aux cheveux blonds ou roux ; devant eux, les porte-étendard, les imaginarii, haussaient les aigles romaines, les panneaux commémoratifs, les statuettes des dieux de la Germanie et de Rome et les bustes de César. Sous leurs peaux et leurs cuirasses saillaient leurs bras hâlés, vraies machines de guerre, aptes à supporter le pesant attirail de cette arme. La terre tremblait sous leurs pas cadencés, et eux, sûrs de leur force, qu’ils eussent