Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/255

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pu tourner contre César lui-même, regardaient de haut la populace, oubliant que nombre d’entre eux étaient aussi en loques quand ils étaient arrivés dans cette ville. Mais il n’y en avait là qu’une poignée infime, le gros des forces prétoriennes étant demeuré dans ses casernes pour maintenir l’ordre dans la ville.

Derrière les Sicambres venaient les lions et les tigres de Néron, harnachés pour être attelés aux chars quand il lui plaisait d’imiter Dionysos. Des Hindous et des Arabes les conduisaient avec des laisses d’acier tellement surchargées de fleurs qu’on eût dit des guirlandes ; et les fauves, domptés par d’habiles bestiaires, regardaient la foule, de leurs yeux glauques et somnolents, soulevant par instants leur tête énorme pour humer le relent des corps humains et se pourlécher les lèvres de leur langue rugueuse.

Puis suivaient des litières et des chars impériaux, petits ou grands, dorés ou pourpres, incrustés d’ivoire, de perles, ou scintillant de pierres précieuses, et un détachement de prétoriens, équipés à la romaine, uniquement composé de volontaires d’Italie[1], un gros d’esclaves élégants et d’éphèbes, et enfin César, dont les cris de la foule signalaient l’approche.

Parmi la populace se trouvaient aussi l’Apôtre Pierre, qui voulait voir Néron au moins une fois en sa vie, Lygie, le visage dissimulé sous un voile épais, et Ursus, dont la force était pour la jeune fille une garantie au milieu de cette foule licencieuse.

Le Lygien alla chercher un bloc destiné à la construction du sanctuaire et l’apporta à l’Apôtre, pour qu’il pût mieux voir le défilé. Tout d’abord, la foule murmura contre Ursus, qui écartait ses vagues, comme un navire ; mais quand il eut, à lui seul, soulevé ce bloc que quatre des plus forts parmi les assistants n’eussent pu remuer, les murmures cessèrent pour faire place à l’approbation, et les cris de Macte ! retentirent de tous côtés.

Au même instant parut César, sur un char traîné par six étalons blancs d’Idumée, ferrés d’or. Le char avait la forme d’une tente aux portières relevées, afin que la foule pût contempler César. Le véhicule eût pu contenir plusieurs personnes, mais Néron voulait que l’attention se concentrât sur lui seul tandis qu’il traversait la ville, et il n’avait avec lui que deux nains étendus à ses pieds. Il était vêtu d’une tunique blanche et d’une toge

  1. Les habitants de l’Italie avaient été dispensés du service militaire sous le règne d’Auguste ; par suite, ce qu’on appelait la Cohors Italica, séjournant d’ordinaire en Asie, était composée de volontaires. Des volontaires servaient également dans la garde prétorienne, à défaut d’étrangers. (Note de l’auteur.)