Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/267

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peine à le comprendre, mais je sais que c’est la vérité, car jamais je n’ai été aussi heureux et jamais je ne l’aurais été autant, quand bien même je t’aurais prise de force et gardée dans ma maison. Tu viens de me dire : « Je t’aime ! » Or, je n’aurais pu t’arracher ces paroles, même avec l’aide de toute la puissance romaine, ô Lygie ! La raison dit que cette doctrine est divine, et le cœur sent qu’elle est la meilleure ! Qui donc résisterait à ces deux forces ?

Lygie écoutait Vinicius et le regardait, de ses yeux bleus semblables, sous les rayons de la lune, à des fleurs mystiques et, de même que des fleurs, humides de rosée.

— Oui, Marcus ! C’est vrai ! — murmura-t-elle, en appuyant plus fort sa tête contre l’épaule de Vinicius.

En ce moment, tous deux goûtaient un bonheur immense, car ils se sentaient liés par une force autre encore que l’amour, une force à la fois douce et invincible qui rend l’amour même indestructible et invariable, plus fort que les désillusions, la trahison, et même que la mort. Ils étaient certains que, quoi qu’il advînt, ils ne cesseraient jamais de s’aimer ou de s’appartenir. Vinicius sentait aussi que cet amour n’était pas seulement pur et profond, mais encore inouï. Il était à la fois inspiré et par Lygie, et par la doctrine du Christ, et par la clarté lunaire, qui baignait doucement les cyprès, et par cette nuit délicieuse, — si bien que tout l’univers lui semblait plein de cet amour.

Et il parla d’une voix douce et émue :

— Tu seras l’âme de mon âme et tu seras mon bien le plus précieux. Nos cœurs battront à l’unisson, notre prière sera la même, la même notre reconnaissance envers le Christ. Ô ma bien-aimée, vivre ensemble, adorer ensemble le doux Seigneur et savoir qu’après la mort nos yeux s’ouvriront encore, ainsi qu’après un rêve heureux, à une nouvelle lumière ! Que souhaiter de plus ?… Et je m’étonne seulement de ne pas l’avoir compris plus tôt. Sais-tu ce que je pense aujourd’hui ? C’est que personne ne résistera à cette doctrine. Dans deux ou trois cents ans, elle sera acceptée de l’univers entier. Les hommes oublieront Jupiter, oublieront les autres dieux, et le Christ seul subsistera, et il n’y aura que des temples chrétiens. Qui donc repousserait son propre bonheur ? Ah ! oui, j’ai assisté à un entretien de Paul avec Pétrone, et sais-tu ce que ce dernier a fini par dire ? Il a répondu : « Tout cela n’est pas pour moi. » Et il n’a pas trouvé d’autre réponse.

— Répète-moi les paroles de Paul, — demanda Lygie.

— C’était chez moi, un soir. Pétrone se mit à parler avec négligence et en plaisantant, comme il en a l’habitude, et alors Paul lui dit : « Comment, toi, sage Pétrone, peux-tu nier l’existence