Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/268

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du Christ et sa résurrection d’entre les morts, puisque tu n’étais pas né alors et que Pierre et Jean l’ont vu, et que moi je l’ai rencontré sur le chemin de Damas ? Que ta sagesse nous démontre donc que nous sommes des menteurs, et seulement alors tu contesteras notre témoignage. » Pétrone répondit qu’il ne songeait pas à la contester, car, il le savait, bien des choses incompréhensibles s’accomplissent, qui cependant sont attestées par des hommes dignes de foi. « Mais, — ajouta-t-il, — la révélation de quelque dieu étranger est une chose, et reconnaître sa doctrine en est une autre. Je ne veux rien connaître, — fit-il, — de ce qui pourrait gâter ma vie et en détruire la beauté. Il ne s’agit pas de savoir si nos dieux sont véritables, mais qu’ils sont beaux, et que, grâce à eux, nous pouvons vivre gaiement et sans soucis. » Alors, Paul lui répondit : « Tu repousses la doctrine d’amour, de justice et de miséricorde, par crainte des soucis de la vie ; mais, songes-y, Pétrone : votre existence est-elle réellement exempte de soucis ? Toi, seigneur, de même que le plus riche, le plus puissant, tous vous ignorez, en vous endormant le soir, si vous ne serez pas réveillés par un arrêt de mort. Dis-moi : si César professait une doctrine qui enseigne l’amour et la justice, ton bonheur n’en serait-il pas plus certain ? Tu crains pour tes joies ; mais alors l’existence ne serait-elle pas plus joyeuse ? Quant aux plaisirs de la vie et de l’art, et étant donné que vous avez édifié tant de temples et de magnifiques statues en l’honneur de divinités méchantes, vengeresses, perverties et changeantes, que ne feriez-vous pas en l’honneur du Dieu unique d’amour et de vérité ? Tu es satisfait de ton sort parce que tu es puissant et riche ; mais tu aurais pu être pauvre et abandonné, et alors mieux vaudrait pour toi que les hommes reconnussent le Christ. Dans votre ville, on voit des parents, même fortunés, exiler les enfants du foyer pour s’éviter la peine de les élever. On appelle ces enfants des alumnæ, et toi, seigneur, tu aurais pu être alumna. Cela ne pouvait t’arriver si tes parents vivaient suivant notre doctrine. Si, parvenu à l’âge viril, tu eusses épousé la femme que tu aimais, tu eusses voulu qu’elle te restât fidèle jusqu’à la mort. Or, vois ce qui se passe chez vous : que de hontes, que d’opprobres, que de mépris pour la fidélité conjugale ! Vous vous étonnez vous-mêmes de rencontrer une de ces femmes que vous appelez univira. Et moi, je te dis que celles qui porteront le Christ dans leur cœur ne violeront point la promesse de fidélité à leur mari, de même que les maris chrétiens demeureront fidèles à leur femme. Mais vous n’êtes sûrs ni de vos maîtres, ni de vos pères, ni de vos femmes, ni de vos enfants, ni de vos serviteurs. L’univers tremble devant vous et vous tremblez devant vos esclaves, car vous savez qu’à tout instant ils peuvent