Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/274

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— Je te l’ai déjà dit, César, ordonne-le et je brûle Antium. Ou bien, si tu devais regretter ces villas et ces palais, j’incendierais les vaisseaux à Ostie ; ou je ferai construire sur les monts Albains une ville en bois, à laquelle tu mettras le feu toi-même. Veux-tu ?

Néron lui jeta un regard de mépris :

— Moi, contempler des baraques en bois qui flamberaient ! Ta cervelle est usée, Tigellin. Et je vois, au surplus, que tu n’estimes guère ni mon talent, ni ma Troïade, puisque tu les juges indignes d’un plus grand sacrifice.

Tigellin se troubla. Et Néron, comme pour changer la conversation, ajouta :

— Voici l’été… Comme Rome doit empester à présent !… Et pourtant il faudra y rentrer pour les jeux estivaux.

Tigellin repartit brusquement :

— César, lorsque tu auras renvoyé les augustans, permets-moi de rester un instant seul avec toi…

Une heure après, Vinicius revenait avec Pétrone de la villa impériale.

— Tu m’as causé un moment de terreur, — dit le premier. — Je t’ai cru ivre et perdu sans espoir. N’oublie pas que tu joues avec la mort.

— C’est là mon arène, — répondit négligemment Pétrone, — et j’ai plaisir à constater que j’y suis bon gladiateur. Vois d’ailleurs le résultat. Mon influence a encore grandi ce soir. Il va m’envoyer ses vers dans un coffret qui, tu peux le parier, sera d’un luxe fabuleux, et d’un mauvais goût non moins fabuleux. Je dirai à mon médecin d’y serrer les purgatifs. Je l’ai fait aussi pour que Tigellin, voyant cela réussir, ait envie de m’imiter, et je vois d’ici ce qui va arriver s’il se lance dans des plaisanteries de ce genre, tel un ours des Pyrénées qui aurait l’idée de danser sur une corde raide. J’en rirai comme Démocrite. Si j’y tenais beaucoup, je pourrais perdre Tigellin et prendre sa place comme préfet des prétoriens. Alors, je tiendrais dans ma main Ahénobarbe lui-même. Mais je suis trop paresseux, et je préfère encore l’existence que je mène, même avec les vers de César.

— Quelle habileté ! D’un blâme tu sais faire une flatterie. Mais, en réalité, ses vers sont-ils si mauvais ? Je ne m’y connais pas du tout.

— Pas plus mauvais que d’autres. À coup sûr, Lucain possède plus de talent dans son petit doigt ; mais il y a aussi quelque chose chez Ahénobarbe et, avant tout, une grande passion pour la poésie et la musique. Dans deux jours nous entendrons chez lui un hymne à Aphrodite dont il achève la partition. Nous y serons en petit comité : toi, Tullius, Sénécion, le jeune Nerva et moi. Quant à ses vers, je t’ai dit une fois que j’en usais après un banquet,