Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/275

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comme Vitellius d’une plume de flamant. Eh bien ! ce n’est pas vrai !… Certains sont éloquents. Les plaintes d’Hécube sont pathétiques… Elles crient les douleurs de l’enfantement, et là, il a su trouver des expressions heureuses, peut-être parce qu’il enfante lui-même chaque vers dans la douleur… Parfois, il me fait pitié. Par Pollux ! quel singulier mélange ! Caligula avait le cerveau fêlé, mais, quand même, il était moins monstrueux.

— Qui peut dire jusqu’où ira la folie d’Ahénobarbe ? — dit Vinicius.

— Nul ne le sait. Des choses pourront arriver au souvenir desquelles, dans des siècles, les cheveux se dresseront sur la tête. Et précisément, c’est là ce qui est intéressant. Parfois, il m’arrive, comme à Jupiter Ammon dans le désert, de m’ennuyer, mais je m’imagine qu’avec un autre César je m’ennuierais cent fois plus. Ton Hébreu Paul est éloquent, — je n’en disconviens pas, — et si de pareils hommes enseignent cette doctrine, nos dieux auront sérieusement à prendre garde de ne pas être relégués dans le grenier. Il est incontestable que si, par exemple, César était chrétien, nous nous sentirions tous plus en sûreté. Mais ton prophète de Tarse, qui appliquait ses arguments à mon cas, n’avait pas réfléchi, vois-tu, que pour moi l’incertitude est tout l’attrait de la vie. Celui qui ne joue pas aux osselets ne perdra pas sa fortune : ce qui n’empêche pas de jouer aux osselets. On y trouve de la volupté et de l’oubli. J’ai connu des fils de chevaliers et de sénateurs qui, volontairement, s’étaient faits gladiateurs. Tu prétends que je joue ma vie et c’est vrai, mais parce que cela m’amuse, tandis que vos vertus chrétiennes m’ennuieraient dès le premier jour autant que les dissertations de Sénèque. C’est pourquoi l’éloquence de Paul n’a servi à rien. Il devrait comprendre que des hommes de ma sorte n’admettront jamais sa doctrine. Toi, c’est autre chose. Avec ton tempérament, ou bien tu devais haïr comme la peste le seul nom de chrétien, ou bien devenir chrétien toi-même. Moi, je bâille en leur donnant raison. Nous délirons, nous marchons vers l’abîme ; l’avenir nous réserve quelque chose d’inconnu, tandis que sous nos pas, à côté de nous, quelque chose craque et meurt, d’accord ! Mais nous saurons mourir, et, en attendant, nous ne voulons pas alourdir notre existence, servir la mort avant qu’elle vienne nous prendre. La vie vaut par elle-même et non en prévision de la mort.

— Moi, je te plains, Pétrone.

— Ne me plains pas plus que je ne me plains moi-même. Jadis, nous étions d’accord ; jadis, quand tu guerroyais en Arménie, tu regrettais Rome.

— Maintenant aussi, je la regrette.