Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/284

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Transtévère, avec ses maisons serrées, ses dépôts de bois et ses frêles baraques où l’on vendait des esclaves, avait dû le premier être la proie des flammes.

Les incendies étaient fréquents à Rome, fréquemment aussi accompagnés de violences et de pillage, surtout dans les quartiers habités par la gent pauvre et à demi-barbare. Il ne pouvait en être autrement dans le Transtévère, ce nid de gueux venus de tous les coins du monde. Comme un éclair passa dans la tête de Vinicius l’image d’Ursus et de sa force colossale ; mais que pouvait un homme, même un Titan, devant la force dévastatrice du feu ? Rome était également depuis longtemps sous la menace d’une révolte des esclaves. On disait que des centaines de milliers d’entre eux rêvaient des temps de Spartacus, et n’attendaient qu’une occasion pour s’armer contre leurs oppresseurs et contre la ville. Et voici que cette occasion se présentait. Peut-être qu’avec l’incendie se déchaînait le massacre et la guerre civile. Peut-être les prétoriens s’étaient-ils rués par la ville, pour en exterminer les habitants par ordre de César. Et soudain ses cheveux se dressèrent sur sa tête. Il se souvenait de ces conversations récentes où César, avec une singulière insistance, faisait toujours allusion aux villes incendiées, de ses lamentations de ce qu’il lui fallait décrire une ville en feu sans en avoir vu une, de sa réponse dédaigneuse quand Tigellin lui avait proposé d’incendier Antium ou une ville en planches construite à cet effet, enfin, de ses récriminations contre Rome et les ruelles nauséabondes de Suburre. Oui ! c’était César qui avait ordonné de brûler la ville. Lui seul avait pu l’oser, comme seul Tigellin avait pu se charger d’une pareille mission. Et si Rome brûlait par son ordre, qui donc pouvait garantir que, par ce même ordre, la population ne serait pas égorgée ? Le monstre en était capable. Ainsi, l’incendie, la rébellion des esclaves et le carnage ; quel horrible chaos, quel déchaînement des éléments destructeurs et de la fureur des hommes, et, au milieu de tout cela, Lygie !

Les gémissements de Vinicius se mêlaient au souffle haletant du cheval, qui épuisait ses dernières forces sur la rude montée précédant Aricie. Qui arracherait Lygie de la ville en flammes ? Qui pourrait la sauver ? Vinicius, courbé sur sa monture, crispait ses doigts dans la crinière, prêt à mordre le cou de la bête. À ce moment, un cavalier, également lancé comme un ouragan, jeta, en croisant Vinicius : « Rome est perdue ! » et passa. Un mot frappa encore les oreilles de Vinicius : « les dieux… ». Le reste s’effaça dans le bruit des sabots. Mais ce mot « dieux » lui rendit sa présence d’esprit. Il leva la tête et, les bras tendus vers le ciel plein d’étoiles, il se mit à prier :

« Ce n’est pas vous que j’implore, vous dont les sanctuaires s’écroulent dans les flammes, mais Toi !… » La