Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/289

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et de nuages de fumée qui obscurcissaient complètement le ciel.

Après des efforts inouïs, et risquant à tout instant sa vie, le jeune tribun put gagner cependant la Porte Appienne : là, il s’aperçut que par le quartier de la Porte Capène il ne lui serait pas possible de pénétrer dans la ville, non pas tant seulement à cause de la foule, mais aussi de la chaleur torride qui, même avant la porte, faisait vibrer l’air. Le pont, près de la Porte Trigène, vis-à-vis le temple des Bonnes-Déesses, n’existait pas encore et il fallait, pour traverser le Tibre, gagner le Pont Sublicius, c’est-à-dire couper une partie de la ville, l’Aventin, complètement embrasée. C’était chose matériellement impossible.

Vinicius comprit qu’il fallait rétrograder vers Ustrinum, quitter la Voie Appienne, franchir le fleuve au-dessous de la ville et gagner la Voie du Port, qui mène tout droit au Transtévère La chose n’était guère plus facile, attendu le désordre croissant qui régnait sur la Voie Appienne. Il eût fallu s’ouvrir la voie l’épée à la main et, surpris par l’annonce de l’incendie, Vinicius n’avait pris aucune arme.

Mais, près de la fontaine de Mercure, il aperçut un centurion qu’il connaissait et qui, à la tête de quelques dizaines de prétoriens, défendait l’accès de l’enceinte du temple. Il lui donna l’ordre de le suivre, et le centurion, reconnaissant le tribun et l’augustan, n’osa se soustraire à son ordre.

Vinicius prit donc le commandement de cette troupe et, oublieux des préceptes de Paul sur l’amour du prochain, il fondit en pleine cohue avec une ardeur fatale à ceux qui ne savaient se ranger à temps. Il était poursuivi de malédictions et de pierres, mais il n’y prenait garde, voulant au plus tôt atteindre un endroit libre. Cependant, on n’avançait qu’au prix des plus grands efforts. Ceux qui campaient déjà refusaient le passage et maudissaient tout haut César et les prétoriens. Par instants, la foule se montrait hostile. Aux oreilles de Vinicius arrivaient des voix qui accusaient Néron d’être l’incendiaire. On menaçait ouvertement de mort lui et Poppée. Des cris : « Pitre ! Histrion ! Matricide ! » retentissaient de toutes parts. Les uns proposaient de le jeter au Tibre ; d’autres criaient que Rome avait montré assez de patience. Il était évident que ces menaces pouvaient facilement dégénérer en révolte ouverte et que, pour cela, il suffisait à la foule de trouver un chef. En attendant, sa fureur et son exaspération se tournaient contre les prétoriens qui ne pouvaient se dégager de la cohue, la voie étant également encombrée par des tas de malles et de caisses pleines de provisions, de berceaux, de lits, de chars et de litières arrachés à l’incendie. Çà et là, il y avait des bagarres ; mais les prétoriens avaient vite raison de la foule sans