Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/290

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armes. Vinicius avec eux avait traversé non sans peine dans toute leur largeur les Voies Latine, Numicienne, Ardéatine, Lavinienne et Ostienne, contournant les villas, les jardins, les cimetières et les temples. Enfin, il atteignit le Vicus Alexandri, bourg derrière lequel il passa le Tibre : il y avait là moins d’encombrement et de fumée. Il y apprit par des fuyards que quelques ruelles seulement du Transtévère avaient été atteintes par le feu, mais que sans doute rien n’y échapperait, puisque des individus le propageaient à dessein et empêchaient de l’éteindre, déclarant agir par ordre. Le jeune tribun ne doutait plus du tout à présent que César n’eût ordonné d’incendier Rome, et la vengeance réclamée par les foules lui sembla juste. Qu’eût donc fait de plus Mithridate ou tout autre des ennemis les plus acharnés de Rome ? Le vase était débordé, la folie était devenue trop monstrueuse et l’existence absolument intolérable ; Vinicius était convaincu que l’heure fatale avait sonné pour Néron, que la ville en s’écroulant devait écraser et écraserait le monstrueux pitre chargé de tous les crimes. Qu’un homme assez audacieux se mît à la tête de la population exaspérée, et en quelques heures l’événement serait accompli. Et des pensées hardies, des idées de vengeance, lui passèrent dans l’esprit. Pourquoi pas lui ? La famille des Vinicius, qui comptait toute une lignée de consuls, était connue de tous les Romains. Un nom suffisait à la foule. Une fois déjà, lorsque quatre cents esclaves du préfet Pedanius Secundus avaient été condamnés à mort, on s’était trouvé à deux doigts de l’émeute et de la guerre civile. Que serait-ce donc aujourd’hui, en face de cette horrible calamité dépassant toutes celles que Rome avait vues depuis huit siècles ?

« Celui qui appellera aux armes les quintes, — songeait Vinicius, — celui-là détrônera certainement Néron et revêtira la pourpre. » Et pourquoi, lui, Vinicius, ne serait-il pas celui-là ? Il était plus énergique, plus vaillant, plus jeune que les autres augustans… Il est vrai que Néron avait sous ses ordres trente légions campées sur les frontières de l’empire, mais ces légions elles-mêmes, leurs chefs en tête, ne se révolteraient-elles pas en apprenant l’incendie de Rome et de ses temples ? Alors, lui Vinicius, pourrait devenir César. Déjà on racontait à mots couverts parmi les augustans qu’un prophète avait prédit la pourpre à Othon. Ne valait-il pas Othon ? Peut-être que le Christ et sa puissance divine lui viendraient en aide ? Peut-être même était-ce lui qui l’inspirait en ce moment ? « Oh ! s’il en était ainsi ! » s’exclamait Vinicius en lui-même. Alors il se vengerait sur Néron des dangers que courait Lygie et de ses terreurs ; il ferait régner la justice et la vérité, répandrait la doctrine du Christ depuis l’Euphrate jusqu’aux rives brumeuses de la Bretagne, et en même