Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/291

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temps vêtirait de pourpre sa Lygie et la ferait souveraine de l’univers.

Mais ces pensées, jaillies de sa tête comme une gerbe d’étincelles jaillit d’une maison en flammes, s’envolèrent comme des étincelles. Il fallait avant tout sauver Lygie. Il voyait le fléau de près ; aussi, la peur le reprit et, en face de cet océan de feu et de fumée, en face de cette terrible réalité, la conviction que l’apôtre Pierre sauverait Lygie l’abandonna. Le désespoir l’envahit de nouveau et il s’engagea sur la Voie du Port qui mène directement au Transtévère, pour ne se calmer qu’à la Porte, où on lui répéta tout ce que lui avaient dit déjà les fuyards, à savoir que la majeure partie de ce quartier était encore indemne, mais que cependant, en plusieurs endroits, le feu avait traversé le fleuve.

Le Transtévère était plein de fumée et d’une cohue parmi laquelle il était plus difficile encore de se frayer un passage, car les gens, disposant de plus de temps, emportaient et sauvaient plus de choses. La principale voie, celle du Port, était encombrée par endroits, et près de la Naumachie d’Auguste étaient entassés des objets de toute sorte, dans lesquels la fumée s’était amassée plus épaisse. Les ruelles étroites étaient totalement infranchissables. Leurs habitants fuyaient par milliers et Vinicius assistait à d’horribles scènes. Parfois, deux courants humains se heurtaient dans un passage étroit, et c’était une lutte à mort. Les hommes se battaient et se piétinaient. Des familles étaient séparées dans la mêlée, des mères appelaient leurs enfants avec des cris de désespoir. Vinicius frémit à la pensée de ce qui devait se passer à proximité des flammes. Au milieu des cris et du tumulte, on ne pouvait obtenir un renseignement ou comprendre la réponse. Par instants, de la rive opposée, descendaient lentement de nouveaux tourbillons de fumée, tellement noirs et pesants qu’ils roulaient au ras du sol, enveloppant les maisons, les hommes, toutes les choses, de ténèbres. Mais le vent qui accompagnait l’incendie les dissipait, et Vinicius pouvait alors avancer vers la ruelle où se trouvait la maison de Linus. La lourdeur de cette journée de juillet, augmentée de la chaleur qui arrivait de la partie incendiée de la ville, était devenue insupportable. La fumée cuisait les yeux et coupait la respiration. Les habitants qui avaient espéré que les flammes ne traverseraient pas le fleuve et étaient restés chez eux commençaient à abandonner leurs maisons et la cohue croissait à mesure. Les prétoriens qui accompagnaient Vinicius étaient restés en arrière. Dans cette mêlée, son cheval, blessé à la tête d’un coup de marteau, se cabrait et refusait d’obéir. On reconnut l’augustan à sa riche tunique et aussitôt des cris éclatèrent : « Mort à Néron et à ses incendiaires ! » Un danger imminent menaçait Vinicius. Déjà des centaines