Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/297

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refluaient vers les vallées où se dressaient en nombre les bâtisses de cinq ou six étages, sur les rues bordées de baraques et de boutiques, d’amphithéâtres mobiles en planches édifiés au hasard de spectacles divers, de magasins de bois, d’huile, de blé, de noix, de pommes de pin, dont la graine servait de nourriture aux indigents, et de vêtements qu’à certains moments les Césars distribuaient à la plèbe qui nichait dans les ruelles étroites. Et là, l’incendie, trouvant un aliment dans les matières inflammables, se transformait en une série d’explosions successives et, avec une rapidité inouïe, enveloppait des rues entières. Les gens qui campaient hors de la ville et ceux qui s’étaient installés sur les aqueducs reconnaissaient, à la coloration des flammes, la nature du combustible. Des trombes d’air faisaient jaillir du gouffre des milliers de coquilles incandescentes de noix et d’amandes, projetées vers le ciel ainsi que des papillons lumineux et qui éclataient en crépitant, ou, poussées par le vent, tombaient sur de nouveaux quartiers, sur les aqueducs ou sur les champs qui entouraient la ville. Toute idée de salut semblait insensée. La confusion croissait d’heure en heure et, tandis que la population de Rome fuyait par toutes les portes, les gens des environs, habitants des bourgs, paysans et bergers à demi sauvages de la Campanie, se ruaient, alléchés par l’incendie et séduits par l’espoir du butin.

Le cri : « Rome brûle ! » se répercutait sans arrêt dans la foule. Or, la ruine de la ville semblait être alors la fin de sa puissance et la disparition de tous les liens groupant ces peuples nombreux en une seule nation. La foule, composée en majeure partie d’esclaves et d’étrangers, n’était pas intéressée à la domination romaine : au contraire, la catastrophe pouvait la libérer de ses entraves et déjà, çà et là, elle prenait une attitude menaçante. Partout régnaient le pillage et la violence. Il semblait que seul le spectacle de la ville en feu retardât le carnage. Des centaines de milliers d’esclaves, oubliant que Rome ne possédait pas seulement des temples et des murs, mais encore près de cinquante légions de par le monde, semblaient n’attendre qu’un signal et un chef ; on chuchotait le nom de Spartacus, mais aucun Spartacus ne se présentait. En revanche, les citoyens romains se groupaient et s’armaient de tout ce qu’ils trouvaient.

Les plus fantastiques rumeurs circulaient. D’aucuns affirmaient que Vulcain, sur l’ordre de Zeus, avait déchaîné les flammes souterraines ; d’autres que Vesta vengeait l’outrage fait à Rubria ; d’autres encore, négligeant de sauver leurs biens, assiégeaient les temples et invoquaient les dieux. Mais la plupart répétaient que c’était César qui avait donné l’ordre d’incendier Rome pour se délivrer des odeurs incommodantes de Suburre, et aussi