Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/298

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pour faire place nette à une cité nouvelle qui s’appellerait Néronia. À cette idée, la foule devenait furieuse et si, comme le pensait Vinicius, il s’était trouvé un chef pour profiter de cette explosion de colère, les derniers moments de Néron fussent arrivés quelques années plus tôt.

On disait aussi que César était devenu fou, qu’il prescrivait aux prétoriens et aux gladiateurs d’attaquer le peuple et d’organiser un carnage général. Certains juraient leurs grands dieux qu’Ahénobarbe avait fait lâcher les bêtes de tous les vivaria, que les rues étaient pleines de lions aux crinières en feu, d’éléphants fous d’épouvante, et de bisons qui écrasaient les hommes par dizaines ; racontars qui contenaient une part de vérité, car, en plusieurs endroits, les éléphants, pour échapper à l’incendie, avaient démoli les vivaria et, libres, se ruaient comme une trombe, anéantissant tout sur leur passage.

La rumeur publique affirmait que plus de dix mille personnes avaient péri dans les flammes. Les victimes étaient, en effet, nombreuses. Il en est qui, ayant perdu leurs biens ou des êtres chers, se précipitaient volontairement dans le feu. D’autres étaient asphyxiés par la fumée. Au milieu de la ville, entre le Capitole d’un côté, le Quirinal, le Viminal et l’Esquilin de l’autre, ainsi qu’entre le Palatin et la colline de Cælius, où se trouvaient les rues les plus populeuses, l’incendie avait éclaté sur tant de points à la fois que les fuyards, quelque direction qu’ils prissent, trouvaient toujours devant eux un mur de flammes et périssaient d’une mort horrible dans ce déluge de feu.

Dans le désarroi général, on ne savait plus où fuir. Les voies étaient encombrées de meubles et de toutes sortes d’ustensiles, et même complètement barrées dans les passages étroits. Ceux qui avaient cherché un refuge sur les marchés et les places, ou aux abords du temple de la Terre, du portique de Silvia et, plus haut, près des temples de Junon et de Lucine, ou encore entre le Clivius Vibrius et l’ancienne Porte Esquiline, s’étaient trouvés cernés par le feu et avaient péri, étouffés par la chaleur. Là où n’avait pu atteindre la flamme, on trouva plus tard des centaines de cadavres carbonisés, bien que les malheureux, pour se protéger contre la chaleur, eussent ôté les dalles et se fussent enfouis dans le sol. L’incendie n’avait épargné presque aucune des familles habitant le centre ; aussi entendait-on à toutes les portes et sur tous les chemins les cris de désespoir des femmes appelant les êtres chers demeurés dans le brasier ou écrasés par la foule.

Tandis que les uns imploraient la miséricorde des dieux, d’autres vomissaient contre eux des imprécations. Des vieillards décrépits tendaient les mains vers le temple de Jupiter Libérateur, en s’écriant : « Si tu es le Libérateur, sauve donc ton autel et ta