Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/3

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

devait venir lui soumettre ce jour-là. Il se trouva qu’il faisait beau temps, qu’une légère brise soufflait des monts Albains et que les gemmes n’étaient pas encore arrivées. Pétrone referma les yeux et donna l’ordre qu’on le portât au tepidarium. Mais, soulevant la draperie, le nomenclator annonça la visite du jeune Marcus Vinicius, récemment arrivé d’Asie Mineure.

Pétrone ordonna de faire entrer le visiteur au tepidarium, où il se rendit à son tour. Vinicius était son parent, fils de sa sœur aînée, qui jadis avait épousé Marcus Vinicius, personnage consulaire au temps de Tibère. Le jeune homme, qui venait de servir sous Corbulon contre les Parthes, rentrait, la guerre terminée. Pétrone avait pour lui un certain faible, très proche de l’affection, parce que Marcus était un beau jeune homme au corps d’athlète sachant, dans la débauche même, conserver certaine mesure esthétique, chose que Pétrone prisait par-dessus tout.

— Salut, Pétrone, — dit le jeune homme en entrant d’un pas alerte dans le tepidarium ; — que tous les dieux te soient propices, et particulièrement Asclépias et Cypris ; car, sous leur double égide, il ne peut rien t’arriver de mal.

— Sois le bienvenu dans Rome et que le repos te soit doux après la guerre, — répondit Pétrone en dégageant, pour la lui tendre, sa main des plis d’un soyeux tissu de lin dont il était enveloppé — qu’y a-t-il de nouveau en Arménie ? Durant ton séjour en Asie, n’as-tu pas poussé une pointe jusqu’en Bithynie ?

Pétrone avait été jadis proconsul en Bithynie et y avait même gouverné avec énergie et justice, contraste singulier avec le caractère de cet homme, fameux par ses goûts efféminés et sa soif du luxe. Aussi rappelait-il volontiers ce temps-là, qui fournissait la preuve de ce qu’il aurait pu et su faire, s’il lui avait plu de s’en donner la peine.

— J’ai eu l’occasion d’aller à Héraclée, — répondit Vinicius. — Corbulon m’y a envoyé pour y lever des renforts.

— Ah ! Héraclée ! J’y connus une fille de Colchide pour qui je donnerais toutes les divorcées d’ici, sans en excepter Poppée. Au fait, c’est là une vieille histoire. Donne-moi plutôt des nouvelles de la frontière des Parthes. Cela n’empêche que je sois fatigué de tous ces Vologèse, Tiridate, Tigrane et autres barbares qui, suivant les dires du jeune Arulanus, marchent encore chez eux à quatre pattes et n’imitent les hommes qu’en notre présence. Mais en ce moment on en parle beaucoup à Rome, peut-être parce qu’il est dangereux d’y parler d’autre chose.

— Cette guerre tourne mal ; n’était Corbulon, elle pourrait se terminer par une défaite.

— Corbulon ! par Bacchus ! c’est un vrai petit dieu de la guerre,