Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/4

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un véritable Mars, un chef illustre et à la fois fougueux, loyal et sot. Je l’aime, uniquement parce que Néron a peur de lui.

— Corbulon n’est pas un sot.

— Peut-être as-tu raison, et d’ailleurs, peu importe. La sottise, comme dit Pyrrhon, n’est en rien pire que la sagesse et n’en diffère en rien.

Vinicius se mit à lui parler de la guerre, mais voyant Pétrone refermer ses paupières et considérant sa figure fatiguée et quelque peu amaigrie, le jeune homme changea de conversation et lui demanda avec sollicitude des nouvelles de sa santé.

Pétrone rouvrit les yeux.

La santé !… Non. Elle n’était pas brillante. À vrai dire, il n’en était pas encore au même point que ce jeune Syssena, parvenu à un tel degré d’insensibilité physique qu’il demandait, lorsqu’on le portait au bain le matin : « Suis-je assis ? » Néanmoins, il n’était pas bien portant. Vinicius venait de le mettre sous la protection d’Asclépias et de Cypris. Mais lui, Pétrone, n’avait aucune confiance dans Asclépias. On ne savait pas même de qui il était fils, cet Asclépias, d’Arsinoë ou de Coronide ? Et si l’on n’est pas certain de la mère, que dire alors du père ? Qui peut, à l’heure actuelle, répondre de son propre père ?

Ici, Pétrone sourit et continua :

— Il est vrai qu’il y a deux ans j’ai envoyé à Épidaure trois douzaines de passereaux vivants et une coupe remplie d’or ; mais sais-tu pourquoi ? Je me disais : si cela ne me fait pas de bien, cela ne me fera toujours pas de mal. S’il est encore en ce monde des hommes qui sacrifient aux dieux, je pense que tous raisonnent comme moi. Tous ! exceptés peut-être les muletiers que les voyageurs louent à la Porte Capêne. Outre Asclépias, j’ai eu également affaire aux Asclépiades quand, l’an dernier, je souffrais quelque peu de la vessie. Ils ont pratiqué pour moi des incubations. Je n’ignorais pas qu’ils fussent des charlatans, mais je me disais de même : « Quel mal cela peut-il me faire ? » Le monde repose sur la supercherie, et la vie est une illusion. L’âme aussi n’est qu’une illusion. Il faut cependant user d’assez de raison pour discerner les illusions agréables de celles qui ne le sont pas. Dans mon hypocaustum, je fais brûler du bois de cèdre saupoudré d’ambre, parce que je préfère dans la vie les arômes aux pestilences. Quant à Cypris, sous l’égide de qui tu m’as placé aussi, elle a manifesté sa protection en me gratifiant d’élancements dans la jambe droite. Au reste, une bonne déesse ! Je suppose que toi aussi tu porteras tôt ou tard de blanches colombes sur son autel…

— Oui, — répondit Vinicius. — J’ai été invulnérable aux flèches