Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/310

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On disait que, par ordre de César, les provinces d’Asie et d’Afrique seraient dépouillées de toutes leurs richesses, qui seraient partagées entre les habitants de Rome, de façon que chacun pût se rebâtir une maison. Mais en même temps le bruit circulait que l’eau des aqueducs avait été empoisonnée, que Néron voulait détruire la ville et anéantir les habitants jusqu’au dernier, pour passer en Grèce ou en Égypte et de là régner sur l’univers. Tous ces bruits se propageaient avec la rapidité de l’éclair et chacun d’eux trouvait créance parmi la foule, y provoquant l’indignation, la colère, l’espoir, la peur ou la rage. Une sorte de fièvre s’emparait de tous. La croyance chrétienne à la destruction du monde par le feu, se répandait aussi parmi les fidèles des divinités païennes. Tantôt la foule semblait plongée dans une sorte d’hébétement ; tantôt elle donnait libre cours à sa fureur. Dans les nuages éclairés par l’incendie, on croyait voir des dieux qui contemplaient l’anéantissement de la terre, et des milliers de bras se tendaient vers eux pour les supplier ou les maudire.

Cependant les soldats, aidés d’une partie des habitants, continuaient à démolir les maisons de l’Esquilin, du Cælius et du Transtévère, dont une grande partie put être préservée. Mais, dans la ville même, des trésors sans nombre, accumulés par des siècles de victoires, de merveilleux produits de l’art, des temples, et les plus précieux souvenirs du passé romain et de la gloire romaine, étaient la proie des flammes.

On pouvait se convaincre qu’il ne resterait de toute la ville que quelques quartiers éloignés du centre, et que des centaines de mille habitants seraient sans abri. On affirmait d’ailleurs que les soldats jetaient bas les maisons, non pas pour priver le feu d’aliments, mais pour que rien de la ville ne demeurât debout.

Tigellin envoyait à Antium courrier sur courrier, suppliant César de revenir pour apaiser, par sa présence, son peuple au désespoir. Mais Néron ne se mit en route que le jour où les flammes eurent atteint la Domus Transitoria ; et alors, il vola, pour ne pas perdre une minute le spectacle de l’incendie dans sa plus grande intensité.


Chapitre XLVII.

Les flammes avaient envahi la Via Nomentana et de là, le vent ayant sauté, elles avaient dévié vers la Via Lata et le Tibre, contournant le Capitole, submergeant le Forum Boarium et détruisant tout ce qu’en leur premier élan elles avaient épargné ;