Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/311

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l’incendie de nouveau se rapprochait du Palatin. Tigellin, ayant assemblé toutes les forces prétoriennes, ne cessait d’envoyer des courriers à César pour lui annoncer qu’il ne perdrait rien de la majesté du spectacle, l’incendie ayant encore augmenté. Mais Néron ne voulait arriver que la nuit, pour que l’impression fût plus vive. À cet effet, il s’arrêta aux environs d’Aqua Albana et, ayant fait appeler sous sa tente l’acteur Aliturus, il se mit à étudier avec lui sa posture, son expression, son regard, et à apprendre les gestes de circonstance, tout en discutant la question de savoir s’il devrait, en disant : « Ô Ville sacrée, qui semblais plus immuable qu’Ida », lever les deux mains au ciel, ou bien, tenant de l’une le phormynx, la laisser retomber le long du corps, tandis qu’il lèverait l’autre vers les cieux. Cette question, en ce moment, lui paraissait plus importante que tout.

Il ne se mit en route que vers la tombée de la nuit, ce qui lui permit encore de demander conseil à Pétrone sur la question de savoir si, dans le poème dédié à la catastrophe, il serait opportun d’intercaler quelques splendides blasphèmes à l’adresse des dieux ? N’était-il pas logique, au point de vue de l’art pur, que de tels blasphèmes s’échappassent spontanément des lèvres d’un homme qui perdait sa patrie ?

Vers minuit, il arriva en vue des murs, avec sa suite immense de courtisans, de sénateurs, de chevaliers, d’affranchis, d’esclaves, de femmes et d’enfants. Seize mille prétoriens, échelonnés en lignes de bataille le long de la route, veillaient à la sécurité de son entrée. Et le peuple vociférait des malédictions, hurlait et sifflait à la vue du cortège sans pourtant oser aucune violence. De-ci de-là, éclataient même les applaudissements de ceux qui, ne possédant rien, n’avaient rien perdu, et qui prévoyaient une distribution de blé, d’huile, de vêtements et d’argent plus généreuse qu’à l’ordinaire. Mais les clameurs et les sifflets, aussi bien que les applaudissements, furent couverts brusquement par la fanfare des cors et des trompes que fit sonner Tigellin. Et quand Néron eut passé la Porte Ostienne, il s’arrêta un instant et clama :

— Souverain sans demeure d’un peuple sans toit, où donc poserai-je pour la nuit ma tête infortunée ?

Puis, dépassant le Clivus Delphini, il monta, par un escalier spécialement aménagé, sur l’Aqueduc Appien, suivi des augustans et du chœur des chanteurs avec des cithares, des luths et autres instruments de musique.

Le souffle était suspendu dans toutes les poitrines, en attendant les augustes paroles qu’allait prononcer César. Mais lui restait là, solennel et muet, le manteau de pourpre aux épaules, couronné de lauriers d’or, le regard fixé sur les vagues furieuses de