Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/313

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cherchant de grandes métaphores dans le tableau qui se déroulait devant lui. Et peu à peu se modifia l’expression de son visage. La destruction de sa ville natale ne l’avait point touché ; mais le pathos de ses propres paroles l’enivra tellement que ses yeux s’emplirent de larmes. Alors, il lâcha le luth, qui tinta à ses pieds et, drapé dans la syrma, il resta pétrifié, tel qu’une statue des Niobides qui ornaient la cour du Palatin.

Après un court silence retentit une tempête d’applaudissements, auxquels répondit, au loin, le hurlement sauvage des foules. Là-bas, nul ne doutait maintenant que César n’eût donné l’ordre de brûler la ville, afin de s’offrir un spectacle et de chanter des hymnes à la lueur de l’incendie. À cette clameur jaillie de centaines de milliers de gorges, Néron se tourna vers les augustans, avec le sourire triste et résigné de l’homme pour lequel on est injuste, et dit :

— Voyez comment les quintes nous apprécient, moi et la poésie !

— Les coquins ! — répondit Vatinius. — Fais-les charger, seigneur, par la garde prétorienne.

Néron se tourna vers Tigellin :

— Puis-je compter sur la fidélité des soldats ?

— Oui, divin, — répondit le préfet.

Mais Pétrone haussa les épaules :

— Sur leur fidélité, non pas sur leur nombre. Reste là où tu es, c’est plus sûr : mais à tout prix il faut calmer ce peuple.

Sénèque était du même avis, et aussi le consul Licinius.

Cependant, en bas, l’agitation croissait. Le peuple s’armait de pierres, de piquets de tentes, de planches arrachées aux chariots et aux brouettes et de toute sorte de ferraille. Quelques chefs de cohorte se présentèrent devant César en déclarant que les prétoriens, sous la poussée de la foule, éprouvaient une difficulté extrême à rester en ligne de bataille ; n’ayant point l’ordre d’attaquer, ils ne savaient que faire.

— Dieux immortels ! — dit Néron, — quelle nuit ! D’un côté l’incendie ; de l’autre, les flots déchaînés de la populace !

Et il continua à chercher des mots capables d’exprimer superbement tout le danger de l’heure présente ; mais, à ne voir autour de lui que faces pâles et regards inquiets, lui aussi prit peur.

— Mon manteau sombre, avec un capuchon ! — ordonna-t-il, — Est-ce que cela finirait vraiment par une bataille ?

— Seigneur, — répondit Tigellin d’une voix mal assurée, — j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir, mais le danger menace… Parle-leur, seigneur, parle à ton peuple, et fais-lui des promesses !