Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/314

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— César parler à la Plèbe ? Qu’un autre parle en mon nom. Qui s’en charge ?

— Moi, — répondit Pétrone, très calme.

— Va, mon ami ! C’est toi le plus fidèle dans les moments difficiles… Va et n’épargne pas les promesses.

Pétrone tourna vers le cortège un visage insoucieux et ironique :

— Les sénateurs présents, dit-il, — me suivront, ainsi que Pison, Nerva et Sénécion.

Lentement il descendit l’escalier de l’Aqueduc. Ceux qu’il avait désignés hésitèrent, puis le suivirent, rassurés par son calme.

S’arrêtant au pied des arcades, Pétrone se fit amener un cheval blanc, l’enfourcha, et, suivi de ses compagnons, se dirigea, à travers les rangs épais des prétoriens, vers la noire multitude hurlante. Il était sans armes, muni seulement de la frêle baguette d’ivoire qu’il portait d’habitude.

Ayant dépassé les prétoriens, il poussa son cheval dans la foule. La lueur de l’incendie éclairait autour de lui des mains aux armes disparates, des yeux enflammés, des faces en sueur et des bouches qui vociféraient et écumaient. La multitude désordonnée le cerna, lui et son cortège. Plus loin c’était une mer de têtes, mouvante, bouillonnante, terrible.

Les clameurs grossirent encore et se fondirent en un grondement qui n’avait rien d’humain ; les pieux, les fourches, les glaives se croisèrent au-dessus de la tête de Pétrone. Des bras menaçants se tendaient vers les rênes de son cheval et vers lui. Mais il continuait à s’avancer, calme et dédaigneux. Parfois, il frappait de sa baguette les plus hardis, comme s’il se frayait un passage à travers une cohue pacifique ; et son sang-froid en imposait à la foule en tumulte.

Enfin, on le reconnut, et des voix nombreuses s’exclamèrent :

— Pétrone ! l’arbitre des élégances !

— Pétrone ! — répéta-t-on partout.

À mesure que se propageait son nom, les visages se faisaient moins farouches, les hurlements moins furieux ; car, sans chercher la popularité, l’élégant patricien était le favori de la foule. On le savait doux et bienveillant et sa renommée s’était beaucoup accrue quand, après l’affaire de Pedanius Secundus, il avait sollicité un adoucissement à l’arrêt sévère qui condamnait à mort tous les esclaves du préfet. Et, depuis, les esclaves principalement lui avaient voué cet amour ardent qu’accordent les opprimés et les malheureux à ceux qui leur témoignent un peu de sympathie. D’ailleurs, à tout cela se mêlait la curiosité de ce qu’