Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/32

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otage, elle doit être prise sous la protection de César lui-même et du Sénat, il t’ordonne de la remettre entre mes mains.

Aulus était trop soldat et de trop forte trempe pour opposer à cette injonction de vaines paroles de chagrin ou de récrimination. Néanmoins, un pli de colère et de souffrance se creusa sur son front. Jadis, ce froncement de sourcils faisait trembler les légions de Bretagne, et, en ce moment encore, le visage d’Hasta pâlit d’effroi. Mais, à l’heure présente, Aulus Plautius était désarmé devant la volonté impériale. Il examina les tablettes, le sceau, puis, regardant le vieux centurion, il dit, déjà maître de lui :

— Attends dans l’atrium, Hasta, on va te remettre l’otage.

Sur ces mots, il se rendit à l’autre extrémité de la maison, dans l’œcus, où Pomponia Græcina, Lygie et le petit Aulus l’attendaient, tremblants d’inquiétude et de crainte.

— Personne n’est menacé de mort, ni d’exil dans les îles lointaines, — dit-il. — N’empêche que l’envoyé de César soit un messager de malheur. Il s’agit de toi, Lygie.

— De Lygie ? — s’écria Pomponia avec surprise.

— Oui ! — confirma Aulus.

Et, tourné vers la jeune fille, il dit :

— Lygie, tu as été élevée dans notre maison comme notre propre enfant, et Pomponia et moi t’aimons comme notre fille. Mais tu sais que tu n’es pas réellement notre fille ; donnée par ta nation en otage à Rome, c’est à César qu’il appartient de veiller sur toi. Or, César te retire de notre maison.

Le chef paraissait calme, mais il parlait d’une voix étrange, inaccoutumée. Lygie, avec une palpitation des paupières, l’écoutait sans paraître comprendre ce qu’il disait ; les joues de Pomponia pâlirent.

De nouveau, à la porte du corridor qui menait à l’œcus, apparurent les visages terrifiés des esclaves.

— La volonté de César doit être obéie, — dit Aulus.

— Aulus ! — s’écria Pomponia, en serrant la jeune fille dans ses bras comme pour la défendre, — mieux vaudrait la mort pour elle.

Lygie, pressée contre elle, répétait : « Mère, mère ! » seuls mots qu’elle pût exprimer à travers ses sanglots. Sur le visage d’Aulus se peignirent encore la rage et la souffrance.

— Si j’étais seul au monde, — gronda-t-il d’une voix sombre, — je ne la livrerais pas vivante, et mes proches pourraient porter aujourd’hui même des offrandes à « Jupiter libérateur »… Mais, je n’ai pas le droit de vous perdre, toi et notre fils, qui peut voir un jour des temps meilleurs. Je vais me rendre chez César, le