Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/324

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puisqu’on s’ennuyait et qu’il était dangereux de rester à Rome ? Aussitôt cette proposition avait séduit César. Mais Sénèque objecta :

— Partir est facile. Il le serait moins de revenir.

— Par Hercule ! — s’écria Pétrone, — on reviendra, s’il le faut, à la tête des légions d’Asie !

— C’est ce que je ferai ! — approuva Néron.

Mais Tigellin s’y opposa. Il n’avait rien pu trouver lui-même et, nul doute que si cette pensée lui fût venue, il l’eût proposée comme l’unique moyen de salut. Mais voici que, pour la deuxième fois, Pétrone allait être l’homme de la situation, celui qui, dans un moment difficile, pourrait de nouveau sauver tout et tous.

— Écoute-moi, divin — s’écria-t-il, — le conseil est désastreux ! Avant que tu sois à Ostie, la guerre civile aura éclaté, et sait-on si quelque vague descendant du divin Auguste ne se fera pas proclamer César ? Que ferions-nous si les légions se mettaient de son parti ?

— Eh bien ! — répliqua Néron, — nous ferons en sorte qu’il n’y ait pas de descendants d’Auguste. Ils ne sont pas si nombreux qu’il ne soit facile de s’en débarrasser.

— Facile, en effet ; mais il ne s’agit pas seulement d’eux : hier, mes soldats entendaient dire parmi la foule qu’on devrait proclamer César un homme comme Thraséas.

Néron se mordit les lèvres, puis leva les yeux au ciel :

— Peuple insatiable et ingrat ! Ils ont assez de blé et assez de cendre chaude pour y cuire leurs galettes ; que leur faut-il encore ?

— La vengeance, — répliqua Tigellin.

Un silence se fit. Soudain, César se redressa, leva la main et déclama :

Les cœurs ont soif de vengeance et la vengeance a soif de victimes

Puis, oubliant tout, le visage rayonnant, il s’écria :

— Donnez-moi mes tablettes et un style, que je note ce vers ! Jamais Lucain n’en a fait de semblable ! Avez-vous remarqué que je l’ai trouvé en un clin d’œil ?

— Ô l’incomparable ! — approuvèrent des voix.

Néron nota le vers et répéta :

— Oui, la vengeance a soif de victimes !

Puis, promenant son regard sur l’assistance :

— Si nous lancions la nouvelle que c’est Vatinius qui a brûlé la Ville, — et qu’on le sacrifie à la fureur du peuple ?

— Ô divin, que suis-je donc ? — s’écria Vatinius.

— C’est vrai : quelqu’un de plus important… Vitellius ?