Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/334

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leurs anciens, et Lygie, et Ursus. Je vous en désignerai par centaines, par milliers ; je vous indiquerai leurs maisons de prières, leurs cimetières. Vos prisons ne suffiront pas à les contenir… Sans moi, il vous serait impossible de les découvrir. Jusqu’ici, au cours de mes malheurs, j’ai cherché ma consolation dans la seule philosophie. Faites que je la trouve dans les faveurs qui vont m’inonder… Je suis vieux, je n’ai point encore connu la vie ; faites que je puisse me reposer !

— Tu voudrais être un stoïcien devant une assiette pleine, — fit Néron.

— Celui qui te rend service l’emplit du même coup.

— Tu n’as point tort, philosophe.

Mais Poppée ne perdait pas de vue ses ennemis. Son caprice pour Vinicius n’avait été, il est vrai, qu’une fantaisie passagère faite de jalousie, de colère et d’amour-propre blessé. La froideur du jeune patricien avait exacerbé sa rancune. Le seul fait d’oser lui préférer une autre femme lui semblait un crime qui méritait un châtiment. Mais, surtout, elle s’était prise de haine pour Lygie dès le premier instant, aussitôt alarmée par la beauté de ce lis du nord ; Pétrone, parlant des hanches étriquées de Lygie, avait pu persuader à Néron tout ce qu’il voulait, — mais point à elle. L’experte Poppée avait vu d’un seul coup d’œil que, dans Rome entière, aucune autre que Lygie ne pouvait rivaliser avec elle, et même remporter la victoire. Et, dès ce moment, elle avait juré sa perte.

— Seigneur, — dit-elle, — venge notre enfant !

— Hâtez-vous ! — s’écria Chilon. — Hâtez-vous ! Sinon Vinicius aura le temps de la cacher. Je vous indiquerai la maison où ils se sont réfugiés après l’incendie.

— Je te donnerai dix hommes. Vas-y sur-le-champ, — ordonna Tigellin.

— Seigneur, tu n’as pas vu Croton aux mains d’Ursus : si tu ne me donnes que cinquante hommes, je me contenterai de montrer la maison de loin. Et si, de plus, vous n’emprisonnez pas en même temps Vinicius, je suis perdu.

Tigellin interrogea Néron du regard.

— Ne serait-il pas bon, divinité, qu’on en finît en même temps avec l’oncle et le neveu ?

Néron réfléchit :

— Non, pas maintenant. Personne n’admettrait que c’est Pétrone, Vinicius ou Pomponia Græcina qui ont brûlé Rome. Leurs maisons étaient trop belles. Aujourd’hui, il faut d’autres victimes. Leur tour viendra.

— Alors, seigneur, — demanda Chilon, — donne-moi des soldats pour ma sauvegarde.