Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/335

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— Tigellin y pourvoira.

— Tu logeras chez moi en attendant, — déclara le préfet.

Le visage de Chilon exultait de joie.

— Je vous les livrerai tous ! Mais hâtez-vous ! hâtez-vous ! — criait-il d’une voix enrouée.


Chapitre LI.

En sortant de chez César, Pétrone se fit porter à sa maison des Carines, restée indemne grâce aux jardins qui entouraient les murs de trois côtés, et au petit Forum Cécilien qui se trouvait devant. Aussi, les autres augustans, qui avaient perdu leurs maisons, toutes leurs richesses et quantité d’œuvres d’art, le traitaient-ils d’homme heureux. Depuis longtemps, d’ailleurs, on le dénommait le fils aîné de la Fortune, et l’amitié, de plus en plus vive, que lui témoignait César, semblait confirmer la justesse de cette appellation.

Aujourd’hui, ce fils aîné de la Fortune pouvait réfléchir à l’inconstance d’une pareille mère, ou plutôt à sa ressemblance avec Chronos, le dieu qui dévora ses propres enfants.

« Si ma maison avait brûlé, — pensait-il, — et avec elle mes gemmes, mes vases étrusques, ma verrerie d’Alexandrie et mes bronzes de Corinthe, peut-être que Néron oublierait son ressentiment. Par Pollux ! et dire qu’il a dépendu de moi d’être préfet des prétoriens ! J’aurais proclamé Tigellin incendiaire, ce qu’il est d’ailleurs ; je l’aurais revêtu de la tunique douloureuse, je l’aurais livré au peuple ; j’aurais écarté des chrétiens le danger, et j’aurais rebâti la ville. Qui sait même si les honnêtes gens n’eussent pas mieux vécu ? J’aurais dû assumer cette tâche, ne fût-ce que dans l’intérêt de Vinicius. Si j’avais été débordé de travail, je lui aurais cédé les fonctions de préfet, et Néron ne s’y fût point opposé. Qu’après cela Vinicius baptisât tous les prétoriens, et César même, qu’est-ce que cela pouvait bien me faire ? Néron devenu pieux, Néron devenu vertueux et plein de miséricorde, ah ! quel plaisant spectacle ! »

Et son insouciance était si grande qu’il sourit. Un instant après, ses pensées s’orientaient ailleurs. Il lui semblait être à Antium et entendre les paroles de Paul de Tarse : « Vous nous appelez les ennemis de la vie ; mais dis-moi, Pétrone : si César était chrétien et agissait suivant nos préceptes, votre vie elle-même ne serait-elle pas plus tranquille et plus sûre ? » Et au souvenir de ces paroles, il songea :