Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/342

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chant de la Troïade, tu serais obligé, au lieu de crier comme un paon, de donner ton opinion, qui à coup sûr serait ridicule.

Tigellin se mordit les lèvres. Il était loin d’être ravi que César eût décidé de déclamer aujourd’hui cette nouvelle partie de sa Troïade, car cela ouvrait à Pétrone un champ où il était sans rival. En effet Néron, par la force de l’habitude, tournait involontairement, pendant sa lecture, les yeux vers Pétrone, cherchant à deviner l’impression sur son visage.

L’autre écoutait, les sourcils relevés, approuvant parfois, concentrant son attention, comme pour être sûr d’avoir bien entendu. Puis, il louait ou critiquait, exigeait des corrections, ou bien encore demandait que certains vers fussent ciselés davantage. Néron lui-même sentait que les autres, avec leurs louanges sans mesure, n’avaient en vue que leur propre intérêt. Pétrone seul s’occupait de la poésie pour elle-même, étant seul connaisseur ; et quand l’arbitre avait approuvé, on pouvait être certain que les vers étaient dignes d’éloges. Peu à peu il se mit à discuter avec lui, à le contredire, et, finalement, Pétrone contestant la justesse de certains mots, il lui dit :

— Tu verras dans le dernier chant pourquoi j’ai fait usage de cette expression.

« Ah ! — songea Pétrone, — ainsi j’en ai encore pour jusqu’au dernier chant. »

En entendant les paroles de Néron, plus d’un courtisan se fit la réflexion : « Malheur à moi ! Pétrone a du temps devant lui : il peut rentrer en faveur et même évincer Tigellin. » Et de nouveau ils l’assiégèrent de leurs amabilités. Mais la fin de la soirée fut moins bonne, car, au moment où Pétrone prenait congé, César lui demanda à brûle-pourpoint, avec une joie mauvaise dans les yeux :

— Et Vinicius, pourquoi donc n’est-il pas venu ?

Si Pétrone eût été certain que Vinicius et Lygie fussent déjà hors de la ville, il eût riposté : « Il s’est marié avec ta permission et il est parti. » Mais, devant l’étrange sourire de Néron, il se borna à répondre :

— Ton invitation, divin, ne l’a point trouvé à la maison.

— Avise-le que je serai content de le voir, — repartit Néron ; — et recommande-lui, en mon nom, de ne point manquer les jeux auxquels prendront part tous les chrétiens.

Pétrone fut inquiet de ces paroles qui, certainement, concernaient Lygie. Il monta dans sa litière, ordonnant qu’on allât à toute allure. C’était chose peu facile. Devant la maison de Tibère se pressait une foule compacte et hurlante, composée de gens ivres pour la plupart, et qui, loin de chanter et de danser, semblaient