Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/341

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si intense que les lampadarii précédant la litière avaient éteint leurs torches.

Par les rues et les décombres déambulaient des gens avinés, tenant à la main des branches de myrte et de laurier cueillies dans les jardins de César. L’abondance du blé et l’espoir de jeux extraordinaires remplissaient de joie le cœur de la foule. Çà et là, des chants s’élevaient à la gloire de la « nuit divine » et de l’amour ; plus loin, on dansait à la clarté de la lune. Les esclaves furent maintes fois obligés de demander qu’on fît place à la litière « du noble Pétrone ». La foule s’ouvrait en acclamant son favori.

Pétrone songeait à Vinicius et s’étonnait de n’en avoir reçu encore aucune nouvelle. Tout épicurien et égoïste qu’il fût, ses entretiens avec Paul de Tarse et avec Vinicius, et ce qu’il entendait chaque jour dire des chrétiens, n’avaient pas été sans exercer, à son insu, une certaine influence sur ses idées. De là lui venait comme un souffle ignoré apportant dans son cœur quelque semence inconnue. Il ne s’intéressait plus seulement à sa personne, mais aussi aux autres humains ; toutefois il avait toujours pour Vinicius une affection particulière, car il avait beaucoup aimé sa sœur, la mère du jeune tribun, et à présent qu’il avait pris une certaine part à ses aventures, il s’y intéressait comme à quelque tragédie.

Il espérait toujours que Vinicius, devançant les prétoriens, avait réussi à s’enfuir avec Lygie, ou, au pis aller, l’avait reprise par la force ; mais il eût aimé en être sûr, en prévision des réponses qu’il allait avoir à faire à diverses questions auxquelles il eût mieux valu être préparé.

Arrivé devant la maison de Tibère, il descendit de sa litière et pénétra dans l’atrium déjà rempli d’augustans.

Les amis d’hier, étonnés de le voir invité se tinrent à l’écart ; mais lui s’avança, beau et nonchalant, avec autant d’assurance que s’il eût été le dispensateur de la fortune. Certains même s’inquiétèrent de lui avoir peut-être un peu trop tôt marqué de la froideur.

Pourtant César, feignant de ne pas le voir et de causer avec animation, ne répondit pas à son salut.

Par contre, Tigellin s’approcha et lui dit :

— Bonjour, arbitre des élégances ! Continues-tu à affirmer que ce ne sont pas les chrétiens qui ont brûlé Rome ?

Pétrone haussa les épaules et lui frappant sur le dos comme à un affranchi :

— Tu en sais autant que moi là-dessus.

— Je n’ose point rivaliser avec ta sagesse.

— Et bien fais-tu ; sinon, quand César nous aura lu son nouveau