Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/345

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Sans répondre, Pétrone appela un esclave et se fit apporter deux manteaux sombres et deux glaives.

Puis, se tournant vers Vinicius :

— Je te répondrai en route. En attendant, prends ce manteau et ce glaive et allons à la prison. Là, tu donneras aux gardiens cent mille sesterces ; donne-leur-en le double, le quintuple, pourvu qu’ils la laissent sortir immédiatement. Sinon, il sera trop tard.

— Partons, — acquiesça Vinicius.

Un instant après, ils étaient dans la rue.

— Maintenant, écoute, — dit Pétrone. — Depuis aujourd’hui, je suis en disgrâce. Ma vie ne tient qu’à un fil : je ne puis donc rien auprès de César. Bien pis : je suis certain qu’il agirait à l’encontre de ma demande. T’aurais-je donc conseillé de fuir avec Lygie ou de la délivrer de force ? Tu comprends que si tu avais réussi à fuir, la colère de César se serait tournée contre moi. Aujourd’hui, il ferait plutôt quelque chose pour toi que pour moi. Mais n’y compte pas ! Fais-la sortir de la prison, et fuyez ! Si vous échouez, il sera encore temps d’essayer d’autres moyens. Sache pourtant que Lygie n’est pas en prison seulement pour sa foi. Vous êtes tous deux les victimes de la vengeance de Poppée. Tu te souviens comme tu as blessé son amour-propre ? Elle n’ignore pas que c’était à cause de Lygie, et du premier regard elle l’a prise en haine. Elle avait déjà essayé de la perdre en attribuant la mort de son enfant à quelque sorcellerie de la jeune fille. Dans tout ce qui se passe, on voit la main de Poppée. Autrement, comment expliquer qu’on ait emprisonné Lygie avant les autres ? Qui a pu désigner la maison de Linus ? Je te dis qu’on l’espionnait depuis longtemps. Je sais que je te brise le cœur en t’enlevant ce dernier espoir, mais je te le dis pour te faire comprendre que si tu ne la délivres pas avant qu’ils songent que tu vas peut-être le tenter, vous êtes perdus tous deux.

— Oui, je comprends, — répondit sourdement Vinicius.

Il se faisait tard, les rues étaient désertes. Mais brusquement leur conversation fut interrompue par un gladiateur ivre qui venait en sens inverse. Il trébucha et se raccrocha au bras de Pétrone, lui soufflant au visage son haleine vineuse. Il hurlait d’une voix éraillée :

— Aux lions, les chrétiens !

— Mirmillon, — fit Pétrone très calme. — Passe ton chemin, c’est un bon conseil que je te donne.

L’ivrogne saisit de son autre main le bras de Pétrone.

— Crie aussi : « Aux lions, les chrétiens ! » ou je te tords le cou.

Mais toutes ces clameurs avaient énervé Pétrone. Depuis qu’il avait