Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/35

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Ursus lui-même y étant attaché depuis plusieurs années. Pomponia pouvait non seulement compter sur leur fidélité, mais se flatter que le bon grain serait ainsi semé dans la maison même de César.

Elle écrivit aussi quelques mots en vue de mettre Lygie sous la protection d’Acté, l’affranchie de Néron. Pour dire vrai, Pomponia ne l’avait jamais rencontrée aux réunions des adeptes de la doctrine nouvelle, mais elle savait par ouï-dire, que jamais elle ne leur refusait ses services et qu’elle lisait avec avidité les lettres de Paul de Tarse. Elle savait, au reste, que la jeune affranchie vivait dans une perpétuelle tristesse, qu’elle était d’un tout autre caractère que les autres femmes de la maison de Néron et qu’en général elle était le bon génie du palais.

Hasta se chargea lui-même de cette lettre pour Acté. De plus, il trouva tout naturel qu’une fille de roi eut des serviteurs à sa suite et ne fit aucune difficulté pour les emmener au palais ; sa surprise fut plutôt de les voir si peu nombreux. Il hâta pourtant le départ, pour éviter le reproche de manquer de zèle à exécuter les ordres.

L’heure était venue de se séparer. Les yeux de Pomponia et de Lygie s’emplirent de larmes. Une dernière fois, Aulus posa les mains sur la tête de la jeune fille ; un instant après, accompagné par les cris du petit Aulus qui voulait défendre sa sœur et menaçait le centurion de ses poings d’enfant, les soldats emmenèrent Lygie vers la maison de César.

Le vieux chef se fit préparer une litière, et, dans l’intervalle, s’enferma avec Pomponia dans la pinacothèque, contiguë à l’œcus.

— Écoute-moi, Pomponia, — lui dit-il, — je vais chez César, tout en jugeant la démarche inutile. Et, bien que pour lui la parole de Sénèque ait peu de poids, j’irai aussi chez Sénèque. Toute l’influence, aujourd’hui, est à Sophonius, Tigellin, Pétrone ou Vatinius… Quant à César, peut-être qu’il n’a jamais de sa vie entendu parler des Lygiens ; s’il a exigé qu’on lui remît Lygie comme otage, c’est à l’incitation de quelqu’un : et de qui ? c’est facile à deviner.

Pomponia leva brusquement les yeux sur lui :

— Pétrone ?

— Oui.

Après un silence, Aulus reprit :

— Il faut s’y attendre, lorsqu’on laisse un de ces êtres sans honneur ni conscience franchir le seuil de votre demeure ! Maudit soit l’instant où Vinicius entra sous notre toit ! C’est lui qui nous a amené Pétrone. Malheur à Lygie, car ce qu’ils veulent, ce n’est pas un otage, mais une concubine.