Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/353

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de bois clouée à la muraille, et il priait. Vinicius reconnut de loin ses cheveux blancs et ses mains tendues. Sa première pensée fut de traverser les groupes et d’aller se jeter aux pieds de l’Apôtre en lui criant : « Sauve-nous ! » Mais était-ce la solennité de la prière ou sa propre faiblesse ? ses genoux fléchirent et il resta là, à l’entrée, gémissant, les mains jointes, et répétant : « Christ, aie pitié de nous ! »

S’il eût joui de toute sa conscience, il eût compris que ses gémissements à lui n’étaient pas les seuls à être suppliants, qu’il n’était pas seul à apporter ici ses souffrances, sa douleur et son anxiété. Dans ces groupes, il n’y avait pas une âme humaine qui n’eût perdu des êtres chers ; et, quand les plus courageux et les plus actifs des adorateurs du Christ étaient emprisonnés, quand chaque heure marquait pour les prisonniers de nouvelles souffrances et de nouvelles hontes, quand l’étendue du malheur avait dépassé toute attente, quand il ne restait plus qu’une poignée de chrétiens, il n’y avait plus parmi eux un seul cœur qui hésitât dans sa foi et qui interrogeât avec anxiété : « Où est le Christ ? Pourquoi permet-il au mal d’être plus puissant que Dieu ? »

Et malgré tout, on Le suppliait avec désespoir de manifester sa miséricorde. Dans chaque âme couvait encore l’étincelle d’une espérance qu’il viendrait, qu’il écraserait le mal, qu’il précipiterait Néron dans l’abîme et régnerait sur l’univers. Ils regardaient encore vers les deux, tendaient encore l’oreille, suppliaient encore en tremblant. À mesure qu’il répétait : « Christ, aie pitié de nous ! » Vinicius se sentit possédé de la même exaltation qui l’avait saisi jadis dans la hutte du carrier. Les chrétiens L’appelaient du fond de leur douleur, du fond de l’abîme. Pierre L’appelle : un instant, et le ciel va s’ouvrir, la terre trembler sur ses bases, et dans un rayonnement immense, avec des étoiles à ses pieds, le Christ descendra, miséricordieux et effrayant… et Il élèvera les fidèles et commandera aux abîmes d’engloutir les persécuteurs.

Vinicius se couvrit le visage de ses mains et se prosterna.

Soudain, un grand silence se fit, comme si la terreur eût cloué toutes les lèvres.

Et il sentit l’imminence du miracle. Il était certain qu’en se relevant, en ouvrant les yeux, il verrait la clarté qui aveugle les prunelles humaines, il entendrait la voix qui fait défaillir les cœurs. Mais rien ne troublait le silence.

Ce n’est qu’au bruit des sanglots des femmes que Vinicius se redressa et regarda devant lui, effaré. Dans le hangar, au lieu de miraculeuses clartés, vacillaient les lueurs chétives des lanternes et, par une fente du toit, la lune épandait des nappes argentées.

Les gens agenouillés autour de Vinicius élevaient vers la croix leurs