Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/354

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yeux baignés de larmes ; çà et là éclataient des sanglots et du dehors parvenaient les sifflements prudents des hommes qui guettaient. Alors, tourné vers l’assemblée, Pierre dit :

— Mes frères, élevez vos âmes vers le Sauveur et offrez-Lui vos larmes.

Il se tut.

Du sein de la communauté monta une voix de femme, voix de plainte amère et d’incommensurable douleur.

— Je suis veuve. J’avais un fils qui me faisait vivre… Rends-le moi, Seigneur !

Puis c’était de nouveau le silence. Debout devant le groupe agenouillé, Pierre semblait maintenant l’image de la faiblesse et de l’impuissance.

Une autre voix gémit :

— Les bourreaux ont outragé ma fille, et Christ l’a permis.

Puis une troisième :

— Je suis restée seule avec mes enfants. Si l’on me prend, qui donc leur donnera le pain et l’eau ?

Une quatrième :

— Ils avaient épargné Linus !… Et ils viennent de le prendre et le torturent.

Une cinquième enfin :

— Si nous rentrons, les prétoriens vont nous saisir. Nous ne savons plus où nous cacher.

— Malheur à nous !… Qui donc nous défendra ?…

Ainsi s’exhalaient leurs plaintes, une à une, dans le calme de la nuit.

Le vieux pêcheur avait fermé les yeux et branlait sa tête blanche, sur toute cette douleur, toute cette épouvante. De nouveau on n’entendait plus rien, sinon, au dehors, les timides sifflets des guetteurs.

Vinicius se releva d’un bond ; il voulait se frayer un passage à travers les groupes, atteindre l’Apôtre, lui demander assistance. Mais soudain il crut voir devant lui un abîme et ses jambes fléchirent. Si l’Apôtre allait confesser son impuissance, reconnaître le César romain plus formidable que le Christ de Nazareth ? La terreur fit dresser ses cheveux sur sa tête. Alors, l’abîme n’engloutirait pas seulement ce qui lui restait d’espoir, mais l’engloutirait lui-même, et Lygie, et son amour pour le Christ, et la foi, et tout, tout ce qui le faisait vivre, et il n’y aurait plus que la mort, et la nuit infinie, immense comme la mer.

Cependant Pierre s’était mis à parler d’une voix d’abord si faible qu’on l’entendait à peine :

— Mes enfants, sur le Golgotha, je les ai vus clouant Dieu à la croix. J’ai entendu leurs marteaux ; et je les ai vus dressant la croix,