Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/363

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n’était point en son âme, — jeune homme, je te salue ; mais ne me retiens pas, car j’ai hâte d’arriver chez mon ami, le noble Tigellin.

Vinicius s’appuya au rebord de la litière, se pencha vers Chilon et, le regardant droit dans les yeux, lui dit d’une voix sourde :

— Tu as vendu Lygie !

— Colosse de Memnon ! — s’écria l’autre avec terreur.

Mais le regard de Vinicius n’exprimait aucune menace et la peur du vieux Grec s’évanouit aussitôt. Il se souvint qu’il était sous la protection de Tigellin et de César lui-même, deux puissances devant lesquelles tout tremblait, qu’il était entouré d’esclaves athlétiques, et que Vinicius était là, sans armes, le visage émacié et le corps courbé par la douleur.

Cette pensée raviva sa hardiesse. Il fixa sur Vinicius ses yeux cerclés de sang et chuchota en réponse :

— Mais toi, quand je mourais de faim, tu m’as fais fouetter.

Ils se turent un instant ; puis Vinicius reprit, d’une voix étouffée :

— J’ai été injuste, Chilon !…

Le Grec leva la tête et, faisant claquer ses doigts, ce qui, à Rome, était une marque de mépris, il répliqua très haut, pour être entendu de tout le monde :

— Ami, si tu as quelque chose à me demander, viens à ma maison de l’Esquilin dans la matinée ; c’est alors qu’après mon bain je reçois mes invités et mes clients.

Il fit un signe et les Égyptiens enlevèrent la litière, tandis que les coureurs, faisant tournoyer leurs joncs, criaient :

— Place pour la litière du noble Chilon Chilonidès ! Place ! Place !

Chapitre LV

Lygie, en une longue lettre hâtivement écrite, disait pour jamais adieu à Vinicius. Elle savait que nul n’ayant désormais le droit de pénétrer dans la prison, elle ne le reverrait que dans l’arène. Et elle le priait d’assister aux jeux, car elle voulait le voir encore une fois en sa vie.

Sa lettre ne trahissait pas la moindre frayeur. Elle écrivait qu’elle et tous les autres n’aspiraient plus qu’à être amenés sur la lice, car ce serait pour eux le jour de la délivrance. Attendant l’arrivée à Rome de Pomponia et d’Aulus, elle demandait qu’ils vinssent aussi. Chacune de ses paroles révélait l’enthousiasme et