Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/362

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Bientôt des visions l’assaillirent. Il lui semblait traverser de nuit, en tenant Lygie dans ses bras, une vigne inconnue ; Pomponia Græcina marchait devant, une lanterne à la main. Une voix semblable à celle de Pétrone lui criait de loin : « Retourne » ; mais lui, sans souci de cette voix, suivait Pomponia jusqu’à une hutte, au seuil de laquelle se tenait l’Apôtre Pierre. Alors, Vinicius montrait Lygie et disait : « Nous venons du cirque, seigneur, et nous ne parvenons pas à l’éveiller. Éveille-la. » Mais Pierre répondait : « Christ lui-même viendra la réveiller. »

Puis, les images devinrent confuses : il voyait en songe Néron, et Poppée tenant dans ses bras le petit Rufius, dont Pétrone lavait la tête ensanglantée, et Tigellin qui éparpillait de la cendre sur les tables couvertes de mets délicats, et Vitellius qui dévorait ces mets, et quantité d’autres augustans assis autour d’un festin. Lui-même était étendu aux côtés de Lygie, mais entre les tables circulaient des lions avec des barbes fauves d’où s’égouttait le sang. Lygie le priait de la faire sortir, mais une torpeur si affreuse pesait sur lui qu’il ne pouvait faire un geste. Puis, ses visions devinrent plus chaotiques encore, et enfin tout plongea dans les ténèbres.

Il fut tiré de son profond engourdissement par l’ardeur du soleil et par des cris qui s’élevèrent soudain tout près de l’endroit où il était assis. Vinicius se frotta les yeux : la rue était grouillante ; deux coureurs à tunique jaune écartaient en criant la foule avec leurs joncs, pour faire place à une magnifique litière portée par quatre gigantesques esclaves égyptiens.

Dans la litière était un homme habillé de blanc, dont on ne pouvait distinguer le visage, car il avait les yeux sur un rouleau de papyrus et semblait plongé dans une lecture attentive.

— Place pour le noble augustan ! — criaient les coureurs. Mais la rue était si obstruée que force fut à la litière de s’arrêter un instant. Alors l’augustan laissa tomber avec impatience son rouleau et pencha la tête :

— Chassez-moi ces vauriens ! Et plus vite !

Soudain, il aperçut Vinicius et releva vivement le rouleau à hauteur de ses yeux.

Vinicius, pensant rêver encore, passa la main sur son front : dans la litière était assis Chilon.

Les coureurs avaient déblayé la voie et les Égyptiens allaient repartir, quand le jeune tribun, qui en un clin d’œil venait de saisir quantité de choses la veille encore incompréhensibles pour lui, s’approcha de la litière.

— Salut à toi, Chilon ! — dit-il.

— Jeune homme, — répliqua le Grec avec dignité et orgueil en s’efforçant d’imposer à son visage une expression de calme qui