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Chapitre LVI

Avant la construction du Colisée par les Flaviens, les amphithéâtres romains étaient généralement en bois. Aussi avaient-ils presque tous flambé dans le dernier incendie. Pour donner les jeux promis au peuple, Néron fit édifier plusieurs cirques, dont un gigantesque, pour lequel on avait fait venir de l’Atlas, par mer et par le Tibre, de formidables troncs d’arbres. Comme les jeux devaient, par leur magnificence et par leur durée, dépasser tout ce qu’on avait vu jusqu’alors, on avait élevé de plus vastes dépendances pour les hommes et pour les bêtes. Des milliers d’ouvriers travaillaient jour et nuit à ces constructions. On bâtissait et l’on décorait sans relâche. Le peuple disait merveille des appuis incrustés de bronze, d’ambre, d’ivoire, de nacre et d’écaille. Des canaux alimentés par l’eau glacée des montagnes devaient longer les sièges et maintenir dans tout l’édifice une fraîcheur agréable. D’immenses velariums pourpres protégeaient contre le soleil. Entre les rangs de sièges étaient placées des cassolettes pour les parfums d’Arabie. Un dispositif ingénieux permettait de faire pleuvoir sur les spectateurs une rosée de safran et de verveine. Les célèbres architectes Severus et Celer mettaient tout leur art à édifier un cirque incomparable, plus vaste que tous ceux qui avaient existé jusqu’alors.

Le jour où devaient commencer les jeux matutinaux, des multitudes de badauds, ravis d’entendre le rugissement des lions, celui plus enroué des panthères, et le hurlement des chiens, attendaient depuis l’aurore l’ouverture des portes. Les bêtes n’avaient pas mangé depuis deux jours ; on faisait passer devant leurs cages des quartiers de viande saignante, afin de surexciter leur faim et leur fureur. Par instants, les cris des fauves grondaient si effroyablement que les gens qui se tenaient devant le cirque ne s’entendaient plus parler, et que les plus impressionnables pâlissaient d’effroi. Dès le lever du soleil montèrent dans l’enceinte même du cirque des hymnes sonores et calmes ; on écoutait avec stupéfaction en répétant : « Les chrétiens ! les chrétiens ! » En effet, on les avait transférés à l’amphithéâtre en grand nombre pendant la nuit, et tirés, non d’une seule prison, comme on avait voulu d’abord le faire, mais partiellement de chacune d’elles. La foule savait que le spectacle devait durer des semaines et des mois et l’on discourait à présent sur la question de savoir si, en une seule journée, on pourrait en finir avec ceux qui avaient été désignés pour les jeux de ce jour. Les