Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/366

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— Je ne viens pas en qualité d’ambassadeur du Christ, divine ! Je viens simplement te dire ceci : sois en bons termes avec tous les dieux, les romains et les autres.

— J’irai, — dit Poppée d’une voix brisée.

Pétrone respira.

« Enfin, — songea-t-il, — une fois du moins j’ai réussi en quelque chose. » Et en rentrant, il dit à Vinicius :

— Demande à ton Dieu que Lygie ne meure pas en prison, car, si elle vit, la grande vestale la délivrera. L’Augusta elle-même va le lui demander.

Vinicius, les yeux brillants de fièvre, le regarda et répondit :

— Christ la délivrera !

Poppée qui, pour sauver Rufius, était prête à offrir des hécatombes à tous les dieux de l’univers, confia, le soir même, l’enfant à la fidèle Sylvie, son ancienne nourrice à elle, et se rendit au Forum, chez les vestales.

Mais, au Palatin, on avait décidé déjà du sort de l’enfant. À peine la litière de l’impératrice eut-elle passé la grande porte, que deux affranchis de César firent irruption dans la pièce où était couché le petit Rufius : l’un d’eux se jeta sur la vieille Sylvie et la bâillonna, tandis que l’autre, en la frappant d’un petit sphinx de bronze, l’étourdit sur le coup.

Puis, ils s’approchèrent de Rufius. En proie à la fièvre, l’enfant ne se rendait pas compte de ce qui se passait et leur souriait en fermant à demi ses doux yeux, comme s’il essayait de les reconnaître. Enlevant la ceinture, ou cingulum de la nourrice, ils l’enroulèrent autour du cou de l’enfant et serrèrent. Il cria « maman » et expira.

Ils l’enveloppèrent alors dans une étoffe et, galopant vers Ostie, ils s’en furent jeter le corps dans la mer.

Poppée ne trouvant point la grande vierge, qui s’était rendue chez Vatinius avec les autres vestales, rentra au Palatin. En découvrant le berceau vide et le cadavre déjà froid de Sylvie, elle s’évanouit. Revenue à elle, elle se mit à crier, et ses cris sauvages retentirent pendant toute la nuit et la journée du lendemain.

Mais, le troisième jour, César lui donna l’ordre d’assister à un festin ; elle revêtit la tunique améthyste et s’y rendit. Et elle resta assise, avec un visage de pierre, blonde, muette, merveilleuse et sinistre, tel un ange de mort.