Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/370

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Ceux-ci l’introduisirent par une petite porte de service et l’un d’eux, nommé Syrus, le conduisit aussitôt auprès des chrétiens. Chemin faisant, il lui dit :

— Seigneur, je ne sais si tu trouveras qui tu cherches. Nous nous sommes informés d’une jeune fille du nom de Lygie, mais personne n’a pu nous renseigner. Peut-être se défie-t-on de nous.

— Sont-ils nombreux ? — demanda Vinicius.

— Oui, seigneur. On en gardera pour demain.

— Y a-t-il parmi eux des malades ?

— Au point de ne pouvoir tenir sur leurs jambes, non. Tout en parlant, Syrus ouvrit une porte. Ils entrèrent dans une immense salle basse, très obscure, où la lumière n’avait accès que par des ouvertures grillées prenant jour sur l’arène. D’abord, Vinicius ne put rien distinguer ; il n’entendit que le murmure confus des voix dans la salle même et les clameurs du peuple arrivant de l’amphithéâtre. Un moment après, ses yeux s’habituant à l’obscurité aperçurent des groupes d’êtres bizarres, semblables à des loups ou à des ours. C’étaient les chrétiens, cousus dans des peaux de bêtes. Certains étaient debout, les autres priaient à genoux. Seuls, de longs cheveux épandus sur la fourrure révélaient que la victime était une femme. Des mères, telles des louves, portaient dans leurs bras des enfants velus. Mais, sous les toisons, se voyaient des visages radieux et, dans l’ombre, les yeux rayonnaient de joie fiévreuse. On sentait que la plupart de ces gens étaient possédés d’une pensée exclusive, détachée de tout lien terrestre, qui les rendait insensibles à tout ce qui pouvait leur advenir. D’aucuns, questionnés par Vinicius au sujet de Lygie, ne répondaient pas et le regardaient avec des yeux de dormeurs soudain réveillés. D’autres lui souriaient, un doigt sur leurs lèvres, ou bien lui montraient les barreaux à travers lesquels filtrait la lumière. Seuls, des enfants pleuraient, effrayés par le vacarme des bêtes et le fauve accoutrement de leurs parents.

Vinicius marchait à côté de Syrus, examinant les visages, cherchant, questionnant ; parfois, il butait aux corps de ceux qui s’étaient évanouis dans l’atmosphère étouffante, et il se glissait plus loin, dans les profondeurs de la salle, qui semblait aussi vaste que l’amphithéâtre. Soudain, il s’arrêta, persuadé qu’il venait d’entendre le son d’une voix familière. Il revint sur ses pas et, fendant la foule, s’approcha de celui qui parlait. Un rayon éclaira la tête de l’homme, et Vinicius reconnut, sous la peau d’un loup, Crispus, le visage émacié et implacable.

— Faites pénitence pour vos péchés, — clamait Crispus, — car l’instant est proche. En vérité, je vous le dis : celui qui croit que son martyre lui vaudra le rachat de ses fautes, celui-là commet