Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/383

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Sur le visage de Pétrone se lisaient le dégoût et le mépris. On avait déjà emporté Chilon.

Mais le cunicule vomissait sans trêve sur l’arène des victimes nouvelles.

Assis au dernier rang de l’amphithéâtre, l’Apôtre Pierre les observait. Personne ne le remarquait, toutes les têtes étant tournées vers l’arène. Il se leva, et de même que jadis, dans la vigne de Cornelius, il avait béni pour la mort et pour l’éternité ceux qu’on allait emprisonner, de même, aujourd’hui, il bénissait du signe de la croix les victimes agonisant sous les crocs des fauves ; il bénissait leur sang et leur supplice, les cadavres devenus des masses informes, et les âmes qui s’envolaient loin du sable sanglant. Si quelques-uns levaient les yeux vers lui, leurs visages rayonnaient ; ils souriaient en apercevant au-dessus de leurs têtes, là-haut, le signe de la croix. Lui sentait son cœur se déchirer et disait :

« Seigneur ! que Ta volonté soit faite ! C’est pour Ta gloire, en témoignage de Ta vérité, que périssent mes brebis ! Tu m’as dit : Pais mes brebis ! Et, maintenant, je Te les rends, Seigneur, et Toi, compte-les, prends-les auprès de Toi, ferme leurs plaies, apaise leurs souffrances, et donne-leur plus de bonheur encore qu’elles n’ont ici-bas enduré de tortures. »

Et, les uns après les autres, groupe par groupe, il les bénissait avec un amour aussi grand que s’ils eussent été ses propres enfants et qu’il les eût remis directement entre les mains du Christ.

Tout à coup César, soit par acharnement, soit par désir de surpasser tout ce qui s’était vu jusqu’alors à Rome, chuchota quelques mots au Préfet, qui quitta le podium et se précipita vers les cunicules. Et, à la stupéfaction de la foule elle-même, les grilles s’ouvrirent de nouveau. Il en sortit des bêtes de toutes sortes : des tigres de l’Euphrate, des panthères de Numidie, des ours, des loups, des hyènes, des chacals. L’arène entière fut inondée d’un flot mouvant de pelages tachetés ou rayés, jaunâtres, brunâtres ou fauves. Ce fut un chaos où l’œil ne distinguait plus qu’un effroyable et grouillant tourbillon d’échines animales. Le spectacle dépassa toute réalité et se transforma en une sorte d’orgie sanglante, épouvantable cauchemar, monstrueux délire d’un aliéné. La mesure était comble. Parmi les rugissements, les hurlements, les grognements, éclata çà et là, aux bancs des spectateurs, le rire strident et spasmodique de femmes dont les forces, enfin, étaient à bout. Des gens eurent peur. Des visages blêmirent. Des voix nombreuses crièrent : « Assez ! Assez ! »

Mais il était plus facile de lâcher les bêtes que de les chasser de l’arène. Toutefois César avait trouvé, pour nettoyer la piste, un moyen