Page:Sienkiewicz - Quo vadis, 1983.djvu/385

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Pourquoi as-tu souffert, ô Sminthée,
Que les autels sacrés,
Fumant éternellement en ton honneur,
Aient pu être arrosés du sang des Troyens ?…
Vers toi des vieillards élèvent leurs mains,
Ô Rayonnant à l’arc d’argent !
Vers toi des mères, du fond de leur cœur,
Envoient leurs larmes et leurs prières
Pour que tu aies pitié de leurs enfants :
Leur supplication eût touché de la pierre,
Mais toi, tu fus plus dur que la pierre,
Sminthée !… pour la douleur humaine !…


Peu à peu le chant devenait une élégie plaintive, emplie de douleur. Un silence religieux régnait dans le cirque, et un moment après, César, impressionné, reprit son chant :

 
Tu eusses pu, du son divin du phormynx,
Couvrir les larmes et les cris ;
Aujourd’hui encore les yeux
S’emplissent de larmes, ainsi que les fleurs de rosée,
Aux tristes accords de ce chant
Qui fait renaître les cendres et la poussière.
Au jour de l’incendie, du désastre et de la ruine,
Où étais-tu, Sminthée ?…


La voix de Néron trembla, et dans ses yeux perlèrent des larmes. Les cils des vestales s’humectèrent de même ; le peuple qui écoutait, muet, éclata soudain en une tempête d’applaudissements.

Cependant, par les vomitoires ouverts pour aérer l’amphithéâtre, parvenait du dehors le grincement des tombereaux où l’on déposait les restes sanglants des chrétiens, des hommes, des femmes et des enfants, pour les transporter vers les horribles fosses communes.

Et l’Apôtre Pierre, prenant à deux mains sa tête blanche et tremblante, s’écria en son âme :

« Seigneur ! Seigneur ! À quel homme as-Tu confié l’empire du monde ? Et pourquoi veux-Tu que Ta Cité soit créée en cette ville ? »