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Chapitre LVII.

Le soleil avait décliné vers le couchant et semblait se liquéfier dans les irradiations du soir. Le spectacle avait pris fin. La foule quittait l’amphithéâtre et, par les vomitoires, s’écoulait sur la place. Seuls, les augustans retardaient leur départ pour laisser passer tout ce flot humain. Ils quittèrent leur place et se massèrent autour du podium, où César, espérant des éloges, apparut de nouveau. Bien que les spectateurs ne lui eussent point marchandé les acclamations, il n’était point satisfait, car il avait compté sur un enthousiasme indescriptible atteignant la démence. En vain, à présent, on l’exaltait bruyamment ; en vain les vestales baisaient ses mains divines ; en vain Rubria penchait sa tête rousse jusqu’à lui frôler la poitrine : il n’était pas satisfait et ne savait pas le dissimuler. Le silence de Pétrone l’inquiétait. Un mot de lui, élogieux, qui eût avec justesse mis en relief les beautés de son hymne, eût en ce moment fait grand bien à Néron. Enfin, n’y tenant plus, il fit signe à Pétrone, et quand celui-ci fut sur le podium, Néron lui dit :

— Parle…

— Je me tais, — répondit froidement Pétrone, — parce que je ne parviens pas à trouver une parole. Tu t’es surpassé.

— Il me semble aussi ; pourtant ce peuple…

— Peux-tu exiger de ces plébéiens qu’ils soient connaisseurs en poésie ?

— Alors, toi aussi, tu as remarqué qu’on ne m’a pas remercié comme je le méritais ?

— Tu as mal choisi le moment.

— Pourquoi ?

— Quand l’odeur du sang vous étouffe, on ne peut écouter avec attention.

Néron crispa ses poings et s’écria :

— Ah ! ces chrétiens ! Ils ont brûlé Rome, et ils s’en prennent à moi, maintenant. Quelles tortures pourrais-je bien encore inventer pour eux ?

Pétrone s’aperçut qu’il n’était pas dans la bonne voie et que ses paroles produisaient une impression tout autre que celle qu’il voulait faire naître ; et, désireux de ramener l’attention de César, il se pencha vers lui et chuchota :

— Ton hymne est merveilleux ; mais permets-moi une observation : dans le quatrième vers de la strophe trois, le rythme n’est point sans défaillance.